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L'ÉTERNEL CHAMP DE BATAILLE

II[1]


I. — IMPRESSIONS D’ENFANCE

Pendant les années qui suivirent la guerre, je découvris peu à peu, comme font tous les enfans, mon petit monde natal. J’eus pour compagnon de découverte un bambin de mon âge, que je ne puis désigner autrement que par son nom, tant ce nom est vivant pour moi : il s’appelait Louis Génin.

C’était le fils d’un cultivateur, dont la famille, fortement enracinée dans le pays, offrait un beau caractère clérical. Jamais je n’ai rencontré depuis un être plus étrange, ni plus fantasque. Il y avait en lui de l’innocent, comme on dit dans notre Lorraine, pour signifier les gens un peu simples d’esprit, et, avec cela, de l’exalté et même du poète. Pour autochtone, il l’était autant qu’on peut l’être, et cependant il semblait venir d’ailleurs. A de certains momens, il avait l’air de tomber de la lune. Ce qui nous rapprochait, outre notre âge, notre voisinage et aussi notre prénom, c’était un goût commun pour les choses d’église, les chants liturgiques, les cérémonies, les ornemens du culte. J’avais d’ailleurs conscience de le dominer, de lui faire faire à peu près tout ce que je voulais, et ainsi j’attachais du prix à son amitié. Mais il arrivait que, pendant des journées entières, les rôles étaient intervertis. Soudain une flamme

  1. Voyez la Revue du 15 août