Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/831

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Dans l’état où je vous vois, lui dit-il, vous feriez peut-être mieux de renoncer à votre voyage. Il serait fâcheux et grave que le futur roi d’Angleterre se brouillât avec l’empereur d’Allemagne[1].

Le prince de Galles entendit raison, et sa colère s’apaisa au moins extérieurement ; mais, longtemps encore, elle devait gronder en lui. Quelques semaines plus tard, étant à Vienne, et ayant appris que son neveu allait y venir, il en partit à l’improviste, afin de ne pas le rencontrer.

Est-il téméraire de supposer que lorsque, à une époque encore plus rapprochée de nous, il concevra le projet d’opposer, à la Triple-Alliance, la Triple-Entente, le souvenir des événemens de 1888 ne sera pas étranger à l’orientation nouvelle qu’une fois en possession de la couronne britannique, il entend imprimer à la politique mondiale ?

Parmi ces événemens, il faut compter la proclamation que Guillaume II, le jour même de la mort de son père, adressait à l’armée allemande. On se rappelle que l’évocation des gloires ancestrales y tenait la plus grande place. « Nous nous appartenons l’un à l’autre, moi et l’armée, y était-il dit ; nous sommes créés l’un pour l’autre, et nous resterons fermement et inséparablement unis, qu’il plaise à Dieu de nous donner le calme ou l’orage. » C’est presque un cri de guerre dont l’écho retentira désormais dans l’Histoire comme une prédiction pour l’avenir. Le message adressé, trois jours plus tard, au peuple allemand était d’un accent plus modéré. L’Empereur promet « d’être un prince juste et clément, d’entretenir la piété et la crainte de Dieu, de protéger la paix, de veiller au bien de son pays, d’être le soutien des pauvres et des malheureux et le fidèle gardien de la justice, » promesse rassurante assurément, mais qui ne corrigea qu’à demi l’effet produit par le caractère guerrier du premier manifeste.

A l’heure où l’Allemagne prenait connaissance des paroles impériales, on procédait à Berlin aux funérailles de Frédéric III. Celles de Guillaume Ier avaient été entourées de pompe et presque

  1. Dans la communication qui m’a été faite relativement à cet incident et de la source la plus autorisée, il est dit que le roi de Roumanie, ayant dissuadé le prince de Galles d’aller à Berlin, celui-ci suivit ce conseil. Il y a là une erreur. Le futur roi d’Angleterre était à Potsdam le 22 juin, huit jours après la mort de son beau-frère. Hohenlohe raconte à cette date que ce même jour il est allé le voir : « Il ne me cache pas que la grossièreté de la famille Bismarck, père et fils, l’horripile. »