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Théodore Körner, multipliée à l’infini dans les vitrines, s’amplifiait en une manière de saint national. Il était, si j’ose dire ainsi, devenu pour les générations récentes la Jeanne d’Arc de l’Allemagne. La statue le représentait avec le même regard levé au ciel, le même geste fervent de l’épée, et cette juvénilité, cette religion de la Patrie rendue manifeste trahissaient l’intention du peuple allemand d’opposer cette figure à celle de la grande Lorraine. Mais, s’il a été le barde du soulèvement contre Napoléon, Théodore Körner n’a rien délivré, et son nom, rapidement connu, est retombé après Waterloo dans le demi-oubli auquel devait le condamner un talent de circonstance, qui n’avait encore apporté à la littérature allemande que des promesses.

C’est le centenaire de Leipzig et déjà le sourd mouvement belliqueux des dernières années, auquel la France n’avait pas toujours prêté une oreille assez attentive, qui avait exhumé cette grande vedette de 1813. Voyant l’importance que le culte körnérien avait pris, je m’aperçus bientôt à la lumière des documens nouveaux que la vie brève de ce héros se haussait, malgré son caractère individuel, à une démonstration exceptionnellement plastique de l’action prussienne sur le génie pacifique d’une race. Aussi ai-je pensé que l’histoire morale de cette sanglante aventure, que l’empoisonnement graduel d’un peuple par le caporalisme se montrait dans cette seule existence bourgeoise avec un relief qui méritait notre attention.


Le mépris d’abord caché, puis découvert, dans lequel la nouvelle Allemagne tenait son passé avant 1810, non seulement nous l’ignorions totalement en France, mais les bruyantes glorifications de ses grands hommes auxquelles elle se livrait nous entretenaient dans l’idée qu’elle célébrait ce passé avec exagération.

Pour l’étonnement de quelques voyageurs attentifs, ce mépris se manifestait pourtant de mille façons. La littérature politique faisait ressortir que l’Europe avait aimé l’Allemagne d’autrefois pour la seule raison de son anémie. Il est instructif de voir dans quels termes les nouvelles couches parlent de leur gloire pacifique :

« Plus nous semblions, disent-ils, déserter la lutte des peuples pour les biens de la terre et plus nos voisins, heureux