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Groupement provisoire des associations chrétiennes des paysans allemands, l’Union centrale des industriels allemands, la Ligue des industriels, l’Union des classes moyennes, en un mot, toute l’Allemagne laborieuse exposait au docile chancelier de l’Empire. Ce ne sont pas les seuls junkers qui, là-bas, à Berlin, se livrent au jeu puérilement barbare et bien allemand de planter des clous dans la tête « colossale » d’Hindenburg. Non, non, quoi qu’en dise l’auteur de J’accuse ! toute l’Allemagne, dans le « crime » qu’il dénonce, est solidaire de son gouvernement. L’Allemagne tout entière a voulu la guerre actuelle. Toute son histoire en témoigne, la guerre est pour elle « une industrie nationale. » Guerroyer, c’est-à-dire tuer et piller, elle a cela dans le sang, si l’on peut ainsi dire. L’Allemagne, comme son Empereur, et déchaînant la guerre, a obéi à un vieil instinct héréditaire.

Et assurément, quand elle sera vaincue, nous pouvons nous y attendre, elle protestera de son innocence. Elle essaiera de nous attendrir en criant : « Kamerad ! » et en déclarant, le livre J’accuse ! en mains, qu’elle a été trompée par ses gouvernans. Comme si les peuples n’avaient pas les gouvernemens qu’ils méritent, et comme s’ils n’étaient pas jamais trompés que par eux-mêmes ! Pour accueillir comme il conviendra ces protestations tardives, il suffira de nous demander combien de voix se seraient élevées pour les faire entendre dans une Allemagne victorieuse ? Que l’on calcule combien d’Allemands, depuis quarante-quatre ans, ont désapprouvé l’annexion de l’Alsace-Lorraine, ou la falsification de la dépêche d’Ems[1]. La vérité est qu’il y a toujours eu dans l’âme allemande un fonds de brutalité et de voracité qui faisait souvent craquer le mince vernis de bonhomie, de vague idéalisme, dont il était recouvert. Grisé par ses victoires, par la réussite de sa fortune matérielle, par les théories de ses philosophes, par les discours de son Empereur, le peuple allemand s’est cru le peuple élu de Dieu pour « organiser » l’univers. Grisé à son tour par son

  1. L’auteur de J’accuse ! lui-même, dans son admiration, peut-être excessive, pour le « géant » Bismarck, — dont Guillaume II est le continuateur, plus qu’on ne le veut bien dire, — ne désavoue pas ces deux actes, bien qu’il reconnaisse que l’annexion de l’Alsace-Lorraine « n’a valu jusqu’ici à l’Allemagne que des difficultés, et aucun avantage. » Et il condamne lui aussi, tout comme M. de Bethmann-Hollweg, mais au nom de théories pacifistes, le système de l’équilibre européen.