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hôtes suspects recommenceront à rôder et tâter le terrain pour tâcher d’y reprendre pied. Mais nous ferons bonne garde. Le souvenir du péril récent nous aura fait reprendre conscience de nous-mêmes. J’ai le ferme espoir que désormais le public saura se défendre et qu’il connaîtra sa force. Car tout dépend de lui : d’où vient qu’au lieu de faire la loi, il la subisse ? Mais si le Français est difficile à gouverner, à coup sûr, ce n’est pas au théâtre. On l’exploite, on le gêne, on le vexe de mille manières : c’est l’homme battu et content. Depuis la buraliste sans aménité qui lui tend son coupon comme on envoie un paquet de sottises, jusqu’à l’ouvreuse qui réquisitionne impérieusement le chapeau des dames, tous le traitent en ennemi. Il a la passion du théâtre : il se résigne. La pièce qu’il est enfin admis à entendre est-elle, d’un bout à l’autre, une dérision de tout ce qu’il respecte, n’espérez pas de lui un mouvement de révolte. Il sort de là ahuri, mécontent, un peu honteux… et prêt à revenir : plutôt que de rester chez lui, il accepte tout ce qu’on veut bien lui donner. Que ce public français, si intelligent, si fin, d’un goût si délicat, se soit laissé faire si docilement, c’était encore un effet de l’universelle nonchalance qui nous gagnait. Mais nous avons été à une rude école. Nous avons rappris, à nos dépens, que tout se tient. Un peuple qui a reçu un si terrible avertissement, serait bien coupable si, à l’avenir, il ne se montrait pas plus exigeant sur la qualité de ses plaisirs.

A nous critiques de l’y aider, en le renseignant. Avouons-le, c’est une partie de notre tâche que nous n’avons pas toujours remplie comme il aurait fallu. Nous redoutions par-dessus tout d’encourir le reproche de pédantisme et de sévérité excessive : nous préférions pécher par excès d’indulgence. Nous craignions tantôt de blesser une amitié, et tantôt de froisser une vanité. Ainsi nous avons donné l’exemple de la complaisance : le public n’a fait que suivre. Quand il trouve, sous la plume d’écrivains chargés de le guider, l’éloge d’une ineptie, que voulez-vous qu’il fasse ? Il écarquille les yeux, comme le spectateur de la fable qui voyait bien quelque chose, mais ne distinguait pas très bien. Or, à exercer notre métier avec plus de franchise, sinon de rudesse, ce n’est pas seulement au public que nous rendrions service, mais autant, pour le moins, aux auteurs ; nous leur prêterions aide et assistance ; nous les défendrions, car ils ont besoin d’être défendus, — contre eux-mêmes d’abord, comme tout le monde, — et ensuite contre une puissance redoutable, oppressive, tyrannique et bien moderne : l’argent.

Ils sont des écrivains, partant des artistes : et ils trouvent devant