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dernières conventions usitées entre cour et jardin ; la peinture fidèle de la réalité avait cédé la place à un poncif désenchanté et amer. Tragédie historique, comédie romanesque et comédie de mœurs, toutes ces formes de l’art dramatique sont chez nous nationales. Quant à la comédie simplement comique, amusante, plaisante et dont l’unique objet est de nous arracher pour un temps à nos soucis, elle sera toujours la bienvenue ! Tout ce que nous lui demandons, c’est que le rire y rende un son bien français. Aujourd’hui, en pleine tourmente, on joue la Cagnotte et Bébé : nul n’y trouve à redire. Combien de pièces, plus récentes, dont la reprise serait un scandale ! Nous ne proscrivons pas la gaieté, pourvu qu’elle soit franche et saine.

La santé ! Le pays l’a reconquise : que sa littérature, elle aussi, y renaisse ! Qu’elle revienne aux qualités qui lui ont valu si longtemps un succès dont elle pouvait être fière : l’élévation des sentimens, la générosité des idées, mais aussi le goût, la politesse de l’esprit, la délicatesse du langage ! Comme le remarque très justement M. Adolphe Brisson, au cours de la Préface qu’il a mise au Théâtre de demain, « si l’autorité des dramaturges français fut incontestée, si leur gloire a rayonné en tous lieux, ce n’est pas uniquement parce qu’ils ont produit de belles œuvres, mais parce que ces œuvres apportaient au monde l’expression d’une vie morale supérieure. » C’est cela même. Il ne s’agit pas d’infliger au public un théâtre moralisateur, mais de restituer à notre scène la dignité qui est celle de notre vie et de notre culture françaises. Depuis quatorze mois, nos enfans et nos frères luttent pour sauver de la destruction et conserver à l’humanité cette culture directement visée par la ruée des Barbares. N’acceptons pour nôtres que les œuvres qui en reproduisent l’image ! Répudions un art qui trahit notre idéal ! Dans tout ce qui dégrade, abaisse, corrompt, reconnaissons un esprit qui ne souffle pas de chez nous, et refusons d’accueillir l’hôte indésirable !


RENE DOUHIC.