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rapporteront ensuite de leur séjour à la caserne. Nulle trace d’intimité, ou même simplement d’entente familière, entre le professeur et ses jeunes élèves. Un jour, à Erlangen, l’un des professeurs du « gymnase » racontait avec indignation à l’écrivain anglais de quelle manière ses élèves, pendant une promenade, s’étaient cotisés pour lui offrir une bouteille de vin du Rhin, destinée à remplacer le pot de bière qu’ils voyaient sur sa table. L’austère pédagogue ne s’était pas contenté de refuser le cadeau : il avait accompagné les donateurs auprès du marchand qui leur avait vendu la bouteille, et avait contraint celui-ci à leur en rendre le prix. Le fait d’inviter un élève à sa table suffirait pour discréditer un maître allemand, sinon même pour compromettre sa carrière future, « Tu dois ! » Il faut qu’aux yeux de l’enfant le maître apparaisse comme la rigide et lointaine incarnation de cet ordre fatal, imposé par l’ « organisation » allemande à chacun de ses rouages.

Comme exemple de ce fonctionnement « machinal » de la pédagogie d’outre-Rhin, M. Thomas Smith nous décrit l’enseignement de la religion, tout au moins dans les écoles qu’il lui a été donné d’observer. « Chaque enfant a son catéchisme ainsi qu’un petit livre d’histoire biblique, tous les deux approuvés par l’autorité scolaire. Dans le catéchisme, les différens versets s’accompagnent de l’interprétation de Luther, en lettres plus petites ; et il faut que l’enfant apprenne par cœur aussi bien ce commentaire que le texte lui-même. Pareillement, les récits et discours de la Bible sont introduits de force dans sa jeune mémoire. Nul moyen pour le maître de songer à donner jamais sa propre interprétation, ni bien moins encore à solliciter celle de ses élèves : l’Église et l’État allemands ne sauraient admettre que l’erreur ou l’hérésie risquât de se glisser dans leur troupeau ! C’est la religion découpée en tranches, réduite à un système où les merveilleux récits héroïques, la simple foi et la splendide poésie de l’Ancien Testament, comme aussi l’attrait personnel du Christ et la sublime beauté de sa doctrine, de pouillés de tout leur pouvoir, ne réussissent qu’à ennuyer, au lieu de l’enflammer, l’imagination juvénile. Quoi d’étonnant si, vers l’âge de quatorze ans, les enfans du peuple quittent l’école avec une conception erronée des véritables valeurs, qui ne tarde pas à les rendre victimes des doctrines d’athéisme et d’envie et de haine assidûment prêchées par le grand parti social-démocrate ? Quoi d’étonnant si toujours désormais, pour leur imagination atrophiée et « militarisée, » la religion apparaît comme quelque chose d’inutile et de suranné,