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liberté qu’on donne à son petit fils et qu’elle me donnoit plus grande que bien d’autres m’auroient fait, je trouvai sur une table, dans un coin de la chambre, les Métamorphoses des insectes de Gredart. J’en lus et, chaque jour, lorsque je venois chez elle, j’allois me saisir de ce livre et en lisois. Mme  de Brostel[1] qui estoit fort assidue chez Madame, quoyque sans titre, parce que les Princesses, même filles de France, n’avoient alors qu’une dame d’honneur et une dame d’atours… Les dames du palais estoient une distinction pour les reines et les dauphines. Les princesses du sang n’avoient qu’une dame d’honneur sans dame d’atours et, aujourd’huy, elles ont toutes des dames de compagnie ; Madame de Berry a commencé à avoir des dames sur la fin du règne de Louis XIV, ma mère en prit pendant la Régence, en donna à ma femme lorsque je me mariai et, dès lors, tout fut passé. Au reste, ce nouvel usage est meilleur que l’ancien.

Reprenons notre histoire. Mme  de Brostel me dit donc : « — Je vois que vous lisez dans ce livre toutes les fois que vous venez icy. Demandez-le à Madame, et elle vous le donnera avec plaisir. » En effet, ma grande mère et ma mère m’accabloient de présens dont souvent je ne savois que faire ; il y a des enfans qui sont avides de tout ce qu’ils voyent, je n’estois point du tout de ce caractère. Je répondis que je ne voulois point demander ce livre à Madame. Sur cela, Mme  de Brostel le demanda pour moy. Il me fut donné et je le lus tout entier chez moy à mes heures de récréation, car j’avois alors repris l’estude. Je me mis ensuite à élever des chenilles et je continuai jusqu’à ce que j’eusse envie de prendre l’air grand garçon, c’est-à-dire jusqu’en 1719. Je faisois écrire par un de mes gens tout ce qui leur arrivoit, comme un véritable physicien. C’étoit moi qui observois et qui disois ce qu’il falloit écrire ou obmettre. Peu de ces chenilles ont achevé leur transformation entre mes mains, et le peu de papillons que j’ay eus n’ont point été beaux.

  1. Mme  de Brostel estoit fille de M. Arlot, premier médecin de Madame. Elle avoit épousé M. de Brostel, gentilhomme allemand, nepveu du P. de Linières, jésuite et confesseur du Roy. M. de Brostel a servi dans l’artillerie avec distinction. Il a esté tué en Italie, dans cette dernière guerre, estant lieutenant-général. Sa femme estoit morte de la petite vérole en 1720. Je crois qu’il ne reste de ce mariage qu’une fille qui a esté fille d’honneur de la reine d’Espagne, ma sœur, et l’a quittée pour se faire carmélite au couvent de la rue de Grenelle. C’est une fille d’esprit et qui a un caractère ferme et sensé.