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hommes se tuer, de peur de tomber entre les mains de leurs ennemis, ou choses semblables. Cela est donné comme grandeur d’âme et effort de courage. On n’avoit point travaillé à corriger ces fausses idées. Sans doute on ne prévoyoit point qu’elles feroient impression sur moy. On ne m’avoit pas même dit que la religion chrétienne le défendoit. J’avois lu ce que les autheurs en disoient. On me l’avoit entendu traduire, sans me faire de questions ny me faire faire des réflexions, ou me donner d’instructions sur cet objet particulier. Il s’estoit arrangé dans ma teste simpliciter qu’il estoit beau de se tuer. Un jour que, pour ma santé, on vouloit me faire prendre un verre d’eau de rhubarbe très chargée et, conséquemment, très mauvaise, après avoir témoigné ma répugnance sans qu’on y eust égard, mangeant un morceau de pain tristement à cause de la boisson qui le devoit suivre, j’entrai sur un balcon qui estoit devant ma fenestre ; je remarquai qu’il y avoit des ornemens sur lesquels je pourrois monter et m’élever assez pour me jeter du haut en bas. J’aimois, sans comparaison, mieux mourir que de boire ce verre de mauvaise liqueur. Je commençai à monter sur ces ornemens par un costé qui donnoit sur une cour ; j’y procédois pourtant lentement, parce que je pensois que, de cette hauteur du premier étage du château de Saint-Cloud, mon corps pourroit se retourner de façon que je ne me tuerois pas tout à fait et que je ne ferois que me casser un bras ou une jambe, ce qui me feroit un estat douloureux, et non la mort.

Pendant cette délibération, M. de Court vint voir ce que je faisois sur le balcon ; il me trouva monté sur les ornemens du balcon en risque que la teste n’emportast le reste. Il m’en retira promptement, me fit rentrer dans la chambre, puis me demanda quel estoit mon projet. Je répondis tout simplement que c’estoit de me jeter du haut en bas pour ne pas boire le verre d’eau de rhubarbe. On me confirma dans l’idée que j’avois eue que je ne me serois pas tué, que je n’aurois fait que me blesser, ce qui m’auroit attiré pansemens douloureux, potions désagréables. On affoiblit celle en question avec de l’eau, je la bus et ne pensai plus à me tuer.

Voicy l’autre fait : un jour que ma mère estoit venue se promener à Saint-Cloud, une des personnes qui estoient venues avec elle me prit en particulier et m’exhorta à cesser de me confesser au P. du Trévoux, l’accusant de révéler les