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d’orgueil princier dont le petit-fils de Louis XIV ne put jamais se dépouiller :

À d’Argenson lui proposant de faire graver son profil pour l’Académie de Villefranche, il répondait :

« — Eh ! que suis-je pour cela ? Je ne fais rien, je n’ai rien fait. Cela serait bon pour mon fils, s’il venait à commander des armées et à gagner des batailles. »

Mais un jour qu’il se promenait dans le jardin de Sainte-Geneviève avec l’abbé et plusieurs moines, s’apercevant que l’un d’eux avait de la peine à suivre à cause de son grand âge, il dit aux autres :

« — Asseyons-nous, mes Pères, car voici un bon religieux qui paraît bien fatigué. »

Deux jours après, comme il se promenait encore en la même compagnie, à l’exception du vieux religieux, l’abbé, sans doute fatigué, hasarda :

« — Monseigneur, ne nous serait-il pas permis de vous faire remarquer que vous être las et que vous feriez bien de vous asseoir ?

« — Mon Père, répondit le Duc d’Orléans, quand je serai las, je m’assoirai sans vous en demander la permission. »

Et il prolongea sa promenade.

Les grandeurs humaines, on le sait, ne le touchaient guère en ce qui le concernait ; mais la race s’obstinait en lui : c’est surtout sur son droit de succession au trône, à l’exclusion de la Maison d’Espagne, qu’il se montrait irréductible. De même, l’humilité qu’il entendait pratiquer se conciliait mal avec l’esprit d’indépendance qu’il manifestait à tout propos.

Personne ne le mena jamais, pas même sa mère, contre l’autorité de laquelle il se tenait toujours en garde.

Les retraites prolongées, préludes de sa quasi claustration définitive à Sainte-Geneviève, paraissent avoir, sinon provoqué, du moins coïncidé avec les conceptions délirantes qui, dès 1741, désolaient son chancelier d’Argenson.

Le fidèle serviteur ne s’embarrassait pas de subtils raisonnemens pour en assigner les causes : « La Maison de Bourbon est naturellement paillarde, » posait-il en principe. Or, on ne ment pas impunément à son sang ; donc, la chasteté était cause de tout le mal. Et, de fait, les circonstances semblent lui avoir donné raison.