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JEUNE FILLE.

chemin, parmi tous les aspects nouveaux de la forêt, voile’e de transparens feuillages ? L’étranger qui vient alors au-devant de nous sur la route, celui-là que nous croyons le bonheur, savons-nous son nom? Le voyageur obscur, accueilli par Tobie, se transforme en grand ange ailé, radieux, céleste... Inversement, cet étranger que nous voulions appeler l’amour ne peut-il être le lumi- neux messager de la douleur? Mais il est trop tard. 11 est trop tard pour réfléchir à ces choses ; quand j’étais gaie, je ne savais pas si j’aimais ; séparée de Robert, j’ai souffert et alors en moi-même j’ai accueilli sa perpétuelle présence. Je le retrouve différent de tout ce que mon rêve avait créé autour de lui et que détruit la réalité qui devrait m’être douce ; mais il est là; il est là, et je l’aime, et je sais que je l’aime. J’en suis désormais bien sûre : je souffre de lui. XXXIII C’est une chose bien saugrenue que l’existence 1 Il m’a suffi de rencontrer, un beau matin, un monsieur inconnu pour que toute ma vie soit changée. Il a suffi que Lariguette ait voulu un triste soir se jeter à l’eau pour que son sort se soit agréablement transformé. Elle est revenue, ma Lariguette; elle s’installe dans un minuscule appartement qu’a loué et aménagé pour elle le syn- dicat des mères coquettes et bonnes ; elle a pris quelques ouvrières, dessine des modèles, travaille sans répit dans la fièvre gaie de l’invention; elle s’amuse, elle est heureuse; elle calcule que, dans peu d’années, elle pourra sur ses bénéfices offrir déjà des intérêts à ses bienfaitrices aimables; elle fait des projets et des robes; elle taille, elle drape, elle enroule, elle bavarde... Dès que je suis là, elle me supplie de lui accor- der « une séance » et, immédiatement avec quelques lés d’étoffe et des épingles, elle improvise une merveille aux lignes simples ou quelque effet de jupe cocasse et charmant. Ma petite filleule, ronde et rose, jolie avec les yeux gris de sa mère, agite un hochet dans les bras d’une passive Bretonne à coiffe blanche ; j’ai moi-même choisi le petit mobilier, le papier joyeux avec une frise de joujoux, de la chambrette de ma