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où l’idée de nationalité deviendrait maîtresse du monde et ferait prendre dans les questions de délimitation territoriale la langue et la race pour critérium de la légitimité. » Renan n’écrirait plus la même chose aujourd’hui, car l’épreuve a clairement prouvé que, en dépit de la langue et de la race, l’Alsace n’était nullement allemande. D’ailleurs, il concluait : « Que la France perde l’Alsace et la Lorraine, et la France n’est plus. L’édifice est si compact que l’enlèvement d’une ou deux grosses pierres ferait crouler tout l’édifice. »

On retrouve dans l’étude de la Revue les mêmes éloges sur la race allemande que dans les Débats. Renan loue par-dessus tout la chasteté germanique. Ignorait-il donc que la chronique scandaleuse des cours allemandes, — grandes et petites, — est une des plus volumineuses qui soient ? Il veut que la race allemande soit « dure, forte, grave »… et « chaste, » et il la loue pour ces vertus austères. Tout au plus se risque-t-il à craindre que la Prusse ne finisse par exagérer. Le levain prussien a fait lever la pâte allemande ; mais il faut maintenant que la pâte absorbe le levain. Renan déplore les excès de certains Allemands, avides de « dominer l’Europe par une action universelle de la race germanique, » frénésie, dit-il, « bien chimérique. » Que l’Allemagne résiste au piège que lui tend la Prusse ; sinon, elle armerait contre sa jeune gloire tous ses rivaux : « Un œil pénétrant, écrivait-il, verrait peut-être dès à présent le nœud déjà formé de la coalition future. Les sages amis de la Prusse lui disent tout bas, non comme menace, mais comme avertissement : Væ victoribus ! »

Cet avertissement contenait une prophétie, mais Renan lui-même y croyait-il fermement ? « La Prusse, déclare-t-il, aura été une crise, non un état permanent. Ce qui durera réellement, c’est l’Allemagne ! »

Le lecteur se demande sans doute de quoi David Strauss a pu prendre ombrage dans tout cela. Nous y voici. Parmi tant de complimens à l’adresse de l’Allemagne, Renan avait plaidé avec énergie, dans son article comme dans sa lettre, pour l’intégrité du territoire français. Ce plaidoyer avait reçu dans l’article, comme il est naturel, un plus grand développement que dans la lettre, Renan citait les frontières que les traités de 1814 et4a 1815 avaient données à la France. Son article de la Revue parut après Sedan ; mais il avait été