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REVUE LITTÉRAIRE

RÉMY DE GOURMONT

C’était un homme très singulier : par l’étendue de son intelligence, déjà ; et puis, par un mélange de qualités rares à notre époque et de défauts un peu moins rares, mais un tel mélange ne se trouve guère. Ses qualités sont d’un véritable érudit, d’un merveilleux artiste et d’un philosophe, au moins d’un penseur ; et, ses défauts ou quelques-uns de ses défauts, certains ignorans, ou primaires, les ont aussi. Son œuvre, qui est immense, réunit à de parfaites beautés divers inconvéniens très désagréables. A chaque instant, il vous apparaît comme un grand esprit, et qui a des petitesses. On n’ose pas le juger : on l’admire et il vous fâche ; il vous amuse et vous irrite ; il vous enchante et vous déplaît. En somme, jamais il ne vous laisse indifférent : j’avais raison, voilà un écrivain très singulier.

Peut-être au surplus n’offense-t-il aucunement tels de ses lecteurs et, parmi eux, les amis fidèles des Encyclopédistes. Il a été, en notre temps, une sorte d’Encyclopédiste et comme un camarade un peu attardé, mais bien rajeuni, de d’Alembert ou Diderot. Je crois qu’il se serait entendu avec ces philosophes le mieux du monde, sinon sur tous les points, en tout cas sur le principal ; et, quant au reste, il se fût engagé très volontiers dans des querelles attrayantes. Il avait leur curiosité, leur extrême facilité de compétence, leur honnête désir de tout savoir et de comprendre tout, leur aptitude à y réussir, leur zèle infatigable et, en principe, leur scepticisme, en réalité le même entrain qu’eux à conclure, enfin l’air du doute et l’habitude d’affirmer : ou de nier, mais peu importe. Il avait leur perpétuel émoi du cerveau, leur digne amour des faits et des idées, leur volonté de conformer