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pathologique ; elle fait partie intégrante et normale de l’organisme. » Bien ! Mais « on peut aussi concevoir l’intelligence comme une forme initiale de l’instinct. L’intelligence humaine serait destinée à se cristalliser en instinct, comme cela est advenu pour l’intelligence des autres espèces animales. La conscience disparaîtrait, laissant toute liberté à l’acte inconscient nécessairement parfait dans les limites de sa fin. L’homme conscient est un écolier qui se révélera maître le jour où il sera devenu une machine délicate, mais sûre, comme le castor, ou comme l’abeille. » Ainsi, l’intelligence serait, — « serait, » dit Rémy de Gourmont d’abord ; « est, » dit-il bientôt, — le premier bégaiement de l’instinct, son germe hésitant, l’esquisse ou le brouillon de la merveille machinale.

Passons de la science à la philosophie ; du reste, ce passage, Rémy de Gourmont le nierait, n’admettant pas la différence de la science et de la philosophie : laissons cela. Les philosophes, et avec eux les gens de rien, sont unanimes à considérer l’intelligence comme une faculté créatrice : elle imagine, elle argumente et elle invente. Elle ne tire pas du néant les élémens de ses dialectiques, les matériaux de ses constructions ; mais elle construit. L’architecte ne produit pas la pierre, ni le bois, ni le fer ; il emploie le fer, le bois, la pierre, et il bâtit, et il est l’auteur du monument. L’intelligence, qui élabore les données des sens, qui les dispose et qui, par la déduction, l’induction, l’intuition même, ajoute à ces données, l’intelligence bâtit et est l’auteur des monumens idéologiques. Nous avons accoutumé d’associer l’intelligence et l’idée de création. Vanité, orgueil, fatuité ! Dissocions, de grâce : « L’intelligence est un instrument excellent de négation ; il est temps de l’utiliser et de cesser de vouloir élever des palais avec des pioches et des torches. » Et voilà l’antique folie humaine dénoncée : l’intelligence ne crée pas ; elle détruit. Ne vous étonnez plus de voir tant de systèmes et de croyances joncher l’histoire : l’intelligence, qui avait l’air de les bâtir, obéissait aux velléités profondes de sa nature et ne faisait que des décombres.

Dans ces trois exemples, — et l’on en citerait plusieurs dizaines de ce genre, — Rémy de Gourmont semble avoir pris tout simplement le contre-pied de l’opinion courante. Et ne cherche-t-il pas le paradoxe ? Non : il a flétri le paradoxe comme « l’exercice le plus méprisable, » en toute sincérité, même naïvement. Il ne cherche pas le paradoxe, qu’il déteste. Que cherche-t il ? Je n’ose dire : la vérité. Cependant, oui, la vérité ! Mais il la cherche sans espoir.

Le XVIIe siècle n’est pas une époque d’anarchisme. D’autre part, le