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18 REVUE DES DEUX MONDES.) — Pas le moins du monde ; je ne me suis jamais mieux portée; mais j’ai des tas de choses à le dire; des choses se’rieuses et que je veux te confier en paix. Après le concert, veux-tu? Chez toi ou chez moi... ou plutôt, là où nous serons encore plus sûres de n’être de’rangées par personne : dans un petit thé que je connais. — Où tu voudras, Angelise. Nous arrivons et, je le crains, nous sommes un peu en retard. Nous montons vite l’escalier et nous avons la déception de trouver en haut fermée, la grande porte de vitres. Elle est gardée avec un soin jaloux par ceux qui en défendent l’accès et que rien ne peut corrompre. En vain, nous risquons une œillade, des sourires ; nous devons rester debout à l’entrée du paradis défendu en compagnie de quelques retardataires qui, comme nous, fâchés de la sévérité du sort, prennent des atti- tudes d’artistes incompris et torturés par l’injustice extrava- gante des pendules. Vite résignées, nous écoutons les sons éloignés, assourdis, d’une ouverture héroïque. Plus qu’autrefois encore, la musique m’émeut; plus qu’autrefois, je crois qu’elle va me révéler des secrets de moi-même, et que j’ignore; plus qu’autrefois, elle me berce et m’exalte, me conduit mystérieusement jusqu’au sanglot. Je regarde Angelise; droite, dans une attitude fière, elle me paraît tout d’un coup loin de moi, loin du monde; jamais elle n’a ressemblé davantage à un jeune archange ténébreux; une toque ailée serre étroitement son beau front ; ses boucles rele- vées dégagent le profil un peu osseux, un peu accusé, mais pur; sa haute taille se redresse orgueilleusement; elle n’est plus debout au seuil d’une salle close, où bourdonne et frémit l’essaim assourdi des notes; elle semble prête à entrer bientôt dans l’infini d’un rêve musicalement auguste, prête à mêler sa voix puissante à quelque mystérieux concert. Un silence, un grand bruit de pas, de voix chuchoteuses; les portes s’ouvrent, et les retardataires, mécontens, mais plus importans que honteux, pénètrent à leur tour dans la salle, cherchent leurs places, s’inclinent sur des fauteuils numérotés, et, de rang en rang, importunent par leur pas- sage, les auditeurs exacts depuis longtemps assis. Enfin, nous sommes installées; la sellette des fauteuils à