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Au bon vieux temps, quand on se lançait, par la gueule des bouches à feu, des boulets tout ronds de fer ou même quelquefois de pierre, comme ceux qui, entassés en pyramide, forment de si pittoresques motifs ornementaux aux portes de tels de nos monumens, il était indifférent que le boulet tournât ou ne tournât pas dans l’air, puisqu’il offrait toujours, à cause de sa rondeur, la même surface à la résistance de l’air, ce qui ne pouvait donc modifier sa trajectoire. Cette trajectoire n’était d’ailleurs que très vaguement déterminée, parce qu’on était obligé, sous peine de faire éclater la pièce, de faire le boulet légèrement moins large que l’âme de celle-ci. Il s’ensuit qu’une bonne partie des gaz de la poudre s’échappait dans l’atmosphère par l’interstice annulaire formé entre le boulet et le canon, et l’effet utile était diminué d’autant. En outre, la forme sphérique du projectile était très défavorable pour vaincre efficacement la résistance de l’air, et la portée n’était donc pas très bonne.

Pour améliorer la portée, on eut alors l’idée de donner au projectile une forme allongée et pointue, cylindro-ogivale en un mot. Il devait s’ensuivre évidemment (sans parler d’autres avantages) que la vitesse et la portée en étaient augmentées, de même que de deux navires de même tonnage qui ont des machines de même force, celui qui aura une forme allongée et une proue pointue avancera plus vite que celui qui aura une forme entièrement circulaire. Malheureusement, un projectile oblong lancé par un canon lisse culbuterait sur lui-même et irrégulièrement tout le long de sa trajectoire, offrirait donc à l’air, à cause de sa forme dissymétrique, une surface, c’est-à-dire une résistance à l’avancement sans cesse variable, et que tout cela constituerait plutôt un recul qu’un progrès sur le boulet sphérique. Heureusement, en munissant les bouches à feu de rayures, — ce qui est une idée très ancienne, bien qu’elle n’ait été réalisée pratiquement que dans la seconde moitié du XIXe siècle, — on arrange tout, grâce à la ceinture. Celle-ci a, en effet, un diamètre légèrement supérieur au diamètre intérieur des rayures d’acier, tandis que l’obus lui-même a un diamètre légèrement inférieur à celui-ci, c’est-à-dire qu’il ne se produira aucun frottement nuisible entre lui et le canon. Lors donc que la poudre chasse l’obus dans l’âme de la pièce, la ceinture de cuivre est mordue par les rayures sur lesquelles elle subit une sorte de forcement, qui, grâce à la ductilité du cuivre, y imprime en quelque sorte le profil des rayures. Celles-ci étant en spirales, et la ceinture étant d’autre part sertie à l’obus avec lequel elle forme corps, il s’ensuit qu’à mesure qu’il avance dans la pièce, l’obus se met à