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interviendra, mais bien en Occident et au Nord, sur le front français, sur le front russe, sur le front italien, et c’est là par conséquent que nous devons maintenir la plénitude de notre effort. Quelle ne serait pas notre responsabilité si, quand le moment viendra, nous n’y avions pas la disponibilité de toutes nos forces ! Combien de fois, dans l’histoire militaire, une bataille a été perdue parce que l’ennemi, grâce à une diversion habile, avait amené son adversaire à s’affaiblir en se dispersant ? La Serbie se battra certainement avec vaillance, mais elle n’a que 250 000 hommes, et elle sera écrasée avant l’arrivée des secours que nous pouvons lui envoyer, quelque diligence que nous y mettions. Peut-on, d’ailleurs, compter sur cette diligence ? Il faudra des semaines, des mois peut-être pour que les quatre Alliés se mettent d’accord sur ce que chacun d’eux peut et doit faire, et il en faudra d’autres encore pour passer de la résolution à l’exécution. Avant même que les troupes alliées soient complètement réunies, la jonction des Austro-Allemands et des Bulgares sera faite et nous arriverons tout juste à temps pour assister à un désastre que nous n’aurons pas pu empêcher. Pour agir avec opportunité et efficacité, il aurait fallu prévoir les événemens par lesquels nous nous sommes laissé surprendre. Il est trop tard aujourd’hui ; nous ne rattraperions pas le temps perdu. Sachons nous borner, et, puisque le choix s’impose entre deux fronts, c’est pour le front occidental que nous n’hésitons pas à nous prononcer.

C’est ainsi que parlaient les abstentionnistes au nom du bon sens ; mais les interventionnistes, faisant appel à ces sentimens généreux qui, quoiqu’on en dise, sont une force, répondaient que la conscience humaine serait révoltée si quatre Puissances, aussi grandes que l’Angleterre, la France, la Russie et l’Italie, prenaient froidement leur parti de laisser écraser la Serbie sans rien faire, sans rien tenter pour la sauver. Les Balkans nous donnent en ce moment un triste spectacle : les pires abstentions qui s’y produisent mériteraient être absoutes, si l’exemple leur était venu de si haut et si elles pouvaient en invoquer l’autorité. Lequel des Alliés aurait le droit d’adresser un reproche à la Grèce ou à la Roumanie, s’il avait commencé par s’abstenir lui-même, dans la seule crainte d’éprouver un échec ? Au surplus, sir Edward Grey a énoncé une grande vérité, dont nous aimons à croire que l’Angleterre s’inspire, ou s’inspirera, lorsqu’il a dit que « sur quelque front que les combats aient lieu, la lutte et son issue sont indivisibles. » Une bataille gagnée en Orient a son contrecoup immédiat en Occident, et, réciproquement ; tous les champs de