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mon étonnement à M. d’Oubril, qui me répondit que les plénipotentiaires avaient pris la résolution d’ignorer le traité ! Comme si, en fermant les yeux à l’évidence d’un fait accompli aussi brutal, on le rendait nul et non avenu ! D’autres faits analogues prouvaient clairement combien était faible notre délégation, et combien surtout Bismarck, l’honnête courtier, sous les dehors d’un intérêt pour notre cause, favorisait au fond uniquement les Autrichiens auxquels il méditait déjà de s’allier et les Anglais qu’il jugeait avec raison plus forts et par conséquent plus utiles à cultiver que nous. Le prince Gortchakof avait passé une grande partie du Congrès à être malade et à se soustraire aux séances où des concessions convenues ou forcées devaient être faites aux exigences de nos adversaires. Il disait avec emphase qu’il ne voulait pas attacher son nom à des arrangemens aussi humilians. Mais alors, pourquoi était-il venu ? Sa présence, loin d’aider en rien, ne faisait qu’embarrasser le comte Schouvaloff, le seul qui luttât de son mieux, mais sans connaître notre vraie situation en Orient, ni avoir la conviction des intérêts que nous y possédons et que le passé, aussi bien que l’avenir, nous obligeait à y défendre. Dans un des entretiens que j’eus avec lui et M. d’Oubril à propos des concessions, souvent superflues, que nous faisions, je m’entendis répondre par M. d’Oubril : « Vous avez beau parler, puisque vous ne siégez pas au Congrès. Mais si vous aviez vu Bismarck s’impatienter à la moindre discussion qui se prolongeait et déclarer qu’il allait quitter la présidence et s’en aller à Kissingen, si on continuait à s’occuper de détails qui n’avaient aucune importance pour l’ensemble de la situation européenne et ne pouvaient intéresser que des Bulgares ou des Serbes, vous auriez compris que nous sommes souvent forcés de ne pas insister pour ne pas provoquer de crise. » Je répliquai à l’ambassadeur que, selon ma conviction intime, Bismarck était plus que qui que ce soit intéressé au succès du Congrès qu’il présidait, et que certainement, s’il voyait la résolution sérieuse de résister à sa brutale omnipotence et de placer les intérêts en jeu au-dessus de ses convenances, il trouverait le moyen de nous donner satisfaction et se montrerait moins arrogant. De son côté, le comte Schouvaloff me fit observer que, si j’avais assisté, comme il l’avait fait, au conseil chez l’Empereur où les instructions dont il était muni avaient été