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JEUNE FILLE.


— Quand nous déciderons nous...

— N’êtes-vous pas heureuse, Juliette? Telle fut l’interruption que je m’attirai; ce n’est pourtant pas à moi de lui répondre, impatiente : non. Il croirait que je souhaite un plus complet bonheur, tandis qu’en réalité ce que je veux, c’est de la certitude.

Et tout de suite nous fûmes séparés. Impossible de parler longuement seuls, jamais. Il faudrait se voir ailleurs, mais partout, avec nous, entre nous, maman est toujours là. A déjeuner, pas de Robert.

— Il m’a téléphoné, dit maman avec négligence, qu’il ne viendrait pas.

Ah! ce n’est plus moi qu’il prévient... Maman est toute prête à sortir ; son manteau de fourrure pend, rejeté sur sa chaise ; son chapeau la coiffe délicieusement ; en opposition son manchon coiffe ridiculement la pendule ; ses gants et son petit sac sont posés près de son couvert. Son parfum, plus violent que d’habitude, remplit toute l’étroite salle à manger, la sature. Je me sens une migraine subite et ne puis manger.

Maman ne s’en aperçoit même pas et, avec des gestes menus de gentil singe, décortique une noix.

— Ecoute, Juliette... ce bon Styrenson m’a redemandé hier soir si tu ne consentirais jamais à l’épouser...

— Encore Styrenson 1 Deux fois dans la journée... c’est beaucoup. Alors, maman ?

— J’ai dit que je t’en parlerais... Elle trempe dans son bol ses doigts poissés et, les retirant, s’amuse à secouer des gouttes sur la nappe, du bout des ongles.

— En somme, ce bon Styrenson... il est très bien... il a des millions... et tu sais, ma pauvre petite fille, l’argent se fait rare...

— On ne le dirait pas, maman...

Et je regarde les fourrures, la robe et les bijoux et le couvert luxueux et précis.

Elle soupire, ouvre son sac, se regarde au miroir.

— Je suis terriblement dépensière... Non, merci, pas de café... On étouffe ici; viens donc au jardin... Ahl s’il me fallait un jour, pour te doter, vendre ce jardin, cette maison...

— Je ne vous demande pas de dot, jolie maman trop