Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

28 REVUE DES DEUX MONDES. prévoyante; si je suis pauvre, pauvre, eh bieni je vivrais ici près de vous, avec mon mari mendiant. Ce programme semble fort médiocrement lui plaire. Elle sourit, gênée. — Ça ne sera pas très amusant pour toi. Je t’assure, pense à Styrenson... — Mais vous me trouviez trop jeune pour... — Ohl ma lettre? Mais ça ne compte pas; c’est une idée stupide, qui, ce jour-là, m’avait passé par la cervelle... Je pense aux paroles aiguës de Pourpa : « Vous êtes très gênante pour votre maman. » Et j’ai de la peine. Nous marchons lentement dans l’allée; il n’y a plus de feuilles; il n’y a plus de fleurs; seuls quelques arbustes toujours verts font des taches sombres sur le gravier blanc. Le ciel est gris, fuyant et froid, triste à mourir. — Marianne, si vous tenez à me marier, je ne demande pas mieux; mais ne me proposez pas Styrenson. Que diriez-vous si j’avais choisi... — Oh! Juliette, que je suis en retard! Elle m’interrompt nettement, l’œil fixé tout à coup sur la minuscule montre de son bracelet, sous la manche soudain relevée. Elle entame toujours au moment de sortir les conver- sations qu’elle croit sérieuses, afin de pouvoir s’en évader plus facilement. — Si vous êtes en retard, ne vous hâtez pas; ce n’est plus la peine... Il ne faut se presser que pour être exacte. Laissez- moi vous dire... Eh bien! oui; je vais manquer à ma promesse. Tant pis; j’en ai le droit. Je veux savoir. — Non, chérie; impossible... je file. Tu me diras cela ce soir. Au revoir, mon amour... je ne veux pas t’écouter. Adieu, adieu... La grille a tourné sur ses gonds. Rieuse et rose, Marianne va passer le seuil afin de monter dans la voiture qui l’attend. Mais je mets fortement la main sur son bras. — Ecoutez-moi, maman... Elle se dégage avec impatience, presque avec colère, car je lui barre le passage. Elle me regarde, étonnée, fâchée. Ah! que je lis clairement dans le fond naïf de ses yeux!