Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

habillé. Il me mit gentiment la main sur l’épaule et je dus passer en hâte ma robe de chambre pour le recevoir convenablement. Et d’un accent d’indulgence, il ajoute : — Il n’y a guère à reprendre en lui que les choses sans importance : par exemple, la tournure de certains de ses discours. Il y met des mots nouveaux qu’il a été pêcher dans les journaux. Mais ça, c’est la vivacité de la jeunesse et il se corrigera avec le temps. Il vaut mieux avoir trop de feu que pas assez.

Un professeur assuré de la soumission de son élève ne parle pas autrement de lui. C’est un langage analogue que tient Bismarck dans tous les milieux où il juge utile de mettre en lumière les mérites du jeune empereur et l’ascendant grâce auquel il le domine. Dans les couloirs de la Chambre des Seigneurs, il se plaît à raconter qu’il s’est engagé à servir son souverain aussi longtemps que ses forces le lui permettront.

— Nous sommes d’accord, dit-il, pour un programme de paix extérieure et de réformes intérieures, législatives et religieuses.

Et il laisse entendre que ce programme c’est lui qui l’a dicté.

On reconnaît encore son inspiration dans les propos tenus au cercle de la Cour par le roi de Saxe après les funérailles de Frédéric III :

— On a créé une légende sur les dispositions belliqueuses du nouvel empereur, déclare ce monarque. Il est et sera très raisonnable et très modéré. Nous en avons pour garant l’empressement qu’il met à suivre les conseils du chancelier.

Ces détails, répandus de tous côtés, ne pouvaient que rassurer l’opinion. Elle s’était d’abord inquiétée de voir monter sur le trône un prince à peine âgée de trente ans, ardent et plein de fougue, dont les préoccupations semblaient concentrées sur la représentation de la guerre et qu’on voyait, partout où il résidait, organiser en quartier général sa maison militaire, visiter les troupes, multiplier les revues, les simulacres de combat, surprendre au milieu de la nuit les soldats dans leurs casernes en donnant le signal d’alarme, se mettre à la tête des régimens, franchir à cheval des obstacles et trahir en toute occasion un véritable goût d’aventures.

« Heureusement, remarquait-on, le chancelier est auprès de lui et le modérera. »