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peut-être même lui donner une leçon. Mais, quelques minutes plus tard, apparaît l’Empereur en équipage de gala et il est accueilli par des cris enthousiastes.

Enfin, le 29 mars, a lieu le départ pour Friedrichsruhe. Vers la fin de l’après-midi, les membres de la conférence ouvrière sont réunis à la chancellerie. Tout à coup, un huissier du Cabinet se présente et annonce que le prince de Bismarck va quitter le palais pour se rendre à la gare. Tout le monde se précipite aux croisées. La rue est noire de la foule qui s’y est rassemblée. A la vue de l’ex-chancelier, elle pousse une clameur formidable en témoignage d’admiration et de regrets. C’est à grand’peine que les agens de police ouvrent dans ses rangs un passage à la voiture. Au moment où elle s’éloigne, un fonctionnaire de la chancellerie, qui d’une croisée contemple ce spectacle, se penche vers son voisin, l’un des secrétaires de l’ambassade de France et lui dit en poussant un soupir de soulagement :

— C’est heureux que nous soyons enfin délivrés de cet homme-là.

Quelques jours avant, il écrivait au chancelier pour le remercier de sa bienveillance à laquelle il devait l’emploi qu’il occupait.

A la gare, devant le perron, un escadron de cuirassiers rend les honneurs. Le prince le passe en revue, puis il pénètre sur le quai où l’attendent pour le saluer les membres du Corps diplomatique. Il les remercie et leur serre la main. Herbert de Bismarck marche derrière son père ; la mine hautaine et railleuse, il salue, lui aussi, et on l’entend à deux reprises murmurer du bout des lèvres :

E finita la commedia.

Bientôt après le train s’ébranle aux sons d’une musique militaire ; un témoin constate qu’elle joue une marche funèbre.

Quelques jours avant que n’eût lieu ce départ sensationnel, Guillaume II écrivait au roi de Saxe à propos de la démission du chancelier :

« J’ai vraiment traversé de cruelles épreuves et passé des heures bien pénibles. Mon âme est aussi triste que si j’avais perdu de nouveau mon grand-père. Mais Dieu en a décidé ainsi ; je dois me soumettre, quand même je devrais succomber sous le poids de mon fardeau. »

Le jour du départ de Bismarck, les membres de la