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qu’elle avait cru avoir affaire à la galanterie de princes français, et qu’on pouvait les reconnaître a une pareille grossièreté ; qu’il fallait payer l’honneur de la société des princes en leur servant de bouffons, et qu’ils étaient bien de vrais princes sous ce rapport-là. » Comme elle s’éloignait en les laissant aussi mortifiés qu’elle, elle a entendu le père qui disait à ses enfans : « Vous n’avez que ce que vous méritez. » La chose qui m’étonnait et qui affligeait le plus Elisa, c’est que le prince Louis se soit mêlé de lui jouer un pareil tour, lui qui doit la protéger ! Et toutes deux nous nous sommes bien monté la tête contre eux tous. À l’heure du dîner, elle est venue se mettre sous ma protection pour entrer au salon où toute la société était réunie. Au moment où nous avons paru, chacun s’est regardé en se pinçant les lèvres, et l’on a dit que « Finette sentait bon, » pour avoir le prétexte de partir d’un éclat de rire général, qui s’est arrêté tout d’un coup lorsque je les ai tous regardés fixement d’un air grave, sec et froid, en leur répondant que « c’était bien extraordinaire, puisque tous les chiens sentaient mauvais. »

La Reine s’était approchée de Mlle  de Perrigny, et, en lui parlant avec bonté, l’avait fait fondre en larmes. Le prince Napoléon, qui s’en était aperçu, en riait tout haut, on poussant sa sœur pour qu’elle en rît aussi. Elle était prête à en faire autant. Alors je me suis baissée auprès du petit, et j’ai coupé court à sa gaieté en lui disant de l’air le plus méchant que j’ai pu prendre : « Je reconnais votre bon cœur, prince ; il est, en toutes circonstances, ce que je l’ai jugé. » Là-dessus, on a passé à table, et j’ai vu le prince Jérôme rire aux éclats avec Mme  Salvage. Je me suis promis qu’il aurait aussi son coup de patte. Le dîner a été assez froid. En sortant de table, le prince Louis s’est approché d’Elisa pour faire sa paix. Je lui ai dit, avec le ton que j’étais déterminée à prendre avec tous, « qu’il faisait très bien de demander les excuses qu’il lui devait, car, dans tout cela, il était le seul coupable. » Il m’a répondu en rougissant que « ce n’était pas de sa faute, puisque ce n’était pas lui qui était le chef de la bande. » Là-dessus, je suis allée me chauffer les pieds près de la cheminée où était le prince Jérôme, et, lorsqu’il a voulu me dire que Mlle  de Perrigny avait eu tort de se fâcher, je lui ai répondu « qu’elle en avait bien sujet, que c’était une grossièreté impardonnable, et que plus