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tard, Mme  de Reding, Élisa, M. Conneau, sont revenus à pied, suivant le Prince et la Princesse, qui se donnaient le bras en causant gaiement et tendrement. La dernière m’a fait des saluts gracieux avec la main et le mouchoir de poche. Elle est allée prendre sa leçon d’allemand, ce qui a laissé le Prince fort désœuvré. Élisa est venue me conter encore quelques remarques peu favorables à cette jeune fille. Le Prince est monté à cheval. Il est resté sous ma fenêtre à faire mille tours et singeries avec son cheval, en me souriant et en regardant en l’air si on le voyait…

Dimanche 8 mai.

… Hier, le Roi, sa fille, le Prince, Mme  de Reding, Mlle  de Perrigny ne sont rentrés qu’à cinq heures de la revue des milices cantonales, qui avait lieu au Wolfsberg, ayant été après à Hochstraus et à Constance, où la Princesse avait fait des emplettes. Elle m’a paru peu contente de sa journée, parce que son père ne l’avait laissée qu’un quart d’heure à la revue, où le Prince était resté, pour aller après dîner chez M. Aman avec le prince Napoléon. Ils ne sont tous deux rentrés qu’à la fin de notre dîner, pendant lequel tout le monde a bien grondé notre cher Prince, qui, tout le temps de la petite guerre, s’était tenu sous le feu, comme si une baguette ne pouvait pas avoir été oubliée dans un fusil et le tuer. J’en frémissais, et la Princesse riait aux éclats : elle ne se fera pas de mauvais sang par inquiétude pour lui. Il s’est emparé d’elle, et ils se sont retirés dans un petit coin, d’où, pourtant, le Prince nous a conté qu’il avait eu une mortification à son dîner. Un jeune sous-lieutenant lui avait soutenu que l’Empereur était retourné en Corse en 1790, — ce qu’il ignorait. Le Roi a assuré que le fait était vrai : il se le rappelle, quoiqu’il n’eût alors que six ou sept ans, parce que, dans ce moment, on l’avait paré d’un habit gorge-de-pigeon à gros boutons ; on lui avait mis de la poudre, un gros bouquet à la main, et, ainsi, on l’avait conduit à Paoli, au milieu d’un bal où il y avait beaucoup de dames, entre autres Mme  Ramolino. Il n’était plus retourné en Corse depuis, et il se le rappelait néanmoins à merveille : leur maison, la course qu’il avait faite ce jour-là, la citadelle. Le Prince a passé la soirée en tête à tête à jouer au billard avec sa cousine…