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l'Armature. « La seule base générale des relations mondaines, dit quelqu’un, le seul élément qui constitue la famille, la société, la loi même de l’univers, c’est l’amour. — Non, objecta Tarsul, c’est l’argent. — Comment cela, l’argent ? — Savez-vous exactement ce que l’on définit par le mot d’armature ? On désigne ainsi un assemblage de pièces de métal, destiné à soutenir ou à contenir les parties moins solides ou lâches d’un objet déterminé. Eh bien ! pour soutenir la famille, pour contenir la société, pour fournir à tout ce beau monde la rigoureuse tenue que vous lui voyez, il y a une armature en métal qui est faite de son argent. » L’Armature a paru ici même et, quoiqu’il y ait de cela vingt ans déjà, il est impossible qu’aucun des lecteurs de cette Revue n’en ait pas le souvenir présent à l’esprit. Si le précédent roman était dans la manière alerte du XVIIIe siècle, celui-ci, plus près de Balzac, en a la puissance avec un peu de la lourdeur. L’argent en est le grand ressort : c’est lui qui fait du baron Saffre un des maîtres de l’heure, lui qui retient dans l’obéissance les deux gendres du brasseur d’affaires, et lui qui réduira à merci la vertu de la touchante Gisèle d’Exireuil, adultère et martyre. Sévère à tous les autres, le romancier n’a de pitié que pour cette infortunée Gisèle. Il se découvre pour elle des trésors d’indulgence. En est-elle bien digne ? Pour gagner à son mari une sinécure, elle est devenue la maîtresse d’un riche protecteur. Beaucoup l’ont fait, et d’autres le referont, mais qui ne concourent pour aucun prix Montyon. Le ménage vit sur les libéralités du financier, et quand le mari découvre l’intrigue et jette à sa femme le nom de Saffre : « Tue-le ! » crie Gisèle. Et elle est le seul personnage sympathique du roman ! Par celui-là nous jugeons des autres. Jeux de l’amour et de l’argent, ceux-ci menant à ceux-là, et tous aboutissant à des catastrophes, tel est le résultat de l’enquête : l’auteur l’estimait sans doute définitif, puisqu’il n’y devait plus revenir.

On ne peut caractériser tout à fait l’originalité de ces romans sans ajouter quelques mots sur le style que Paul Hervieu s’était composé pour les écrire. La critique a souvent relevé les particularités de ce style ; elle n’a pas dit assez nettement combien elles étaient voulues. La lecture des premiers livres de l’écrivain est à ce point de vue très significative : la forme en est beaucoup plus aisée, claire, facile, et non certes banale mais sans grand relief. Du jour où il eut trouvé sa manière