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d’observer et de conter, Paul Hervieu jugea bon d’y adapter sa manière d’écrire. Peintre d’une société raffinée, il mit un scrupule d’exactitude à en égaler les raffinemens par ceux du style. Il crut nécessaire de suggérer par les complications de l’écriture la complication des âmes. De là ce style travaillé, où l’on sent, par instans, que l’auteur s’applique à ne pas être naturel. Là encore le XVIIIe siècle le fournit de modèles, dont le premier est Marivaux. Ses procédés sont ceux du marivaudage et ceux d’ailleurs auxquels a eu de tout temps recours la préciosité. Toutes les figures que catalogue la rhétorique y sont largement mises à contribution, et d’abord la périphrase qui est un art de définir les choses en évitant de les nommer et de tourner autour plutôt que de les aborder de front. Exemple : « L’après-midi les mène fréquemment à ce que le mot de rendez-vous, dans un sens bien entendu, peut évoquer de plus transgressif du neuvième commandement et de très folâtre parmi les manifestations de nature. » La comparaison, parfois tirée de loin et, pour cette raison même, serrée de près : « L’Américaine alors dirigea son joli museau de souris vers l’amiral dont elle rencontra le regard qui avait attendu et qui repartit immédiatement, comme un courrier esclave de son service et ne prenant jamais que le temps des relais. » La métaphore. Celle-ci, pour désigner quelqu’un de distant, est tout à fait ingénieuse : « On aurait dit qu’il y avait des laquais dans l’air, par lesquels il me faisait fermer au nez le seuil des explications. » L’hypotypose qui est un mode de description minutieuse, animée et mimée : « Grommelain eut ce geste de dédain qui écarte les bras du corps et soulève indifféremment les épaules, ce mouvement qui a l’air de se décharger d’autrui et de faire sur les côtés de soi un passage facile pour laisser le sort des autres s’en aller comme ça pourra, où ça voudra. » Ces façons d’écrire jolies, trop jolies pour que l’écrivain s’en soit avisé sans le faire exprès, se remarquent d’autant plus qu’elles rompent la trame d’un style le plus souvent excellent et d’une rare précision. Il faut qu’elles aient été mises à dessein. Elles se font remarquer en effet, elles forcent le lecteur à l’attention, elles l’inquiètent, elles l’irritent, ce qui vaut mieux que de le laisser indifférent. C’est Paul Hervieu qui compare les points d’interrogation à des crampes de l’âme. Son style, qui semble parfois pris de crampes soudaines, s’harmonise