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la même aventure se produisant, il y a un quart de siècle ! Combien alors le négociant belge, — tout en reconnaissant avec ennui mainte lacune fâcheuse dans l’éducation « mondaine » de son nouveau commis, — combien il aurait aisément excusé ces lacunes, en comparaison de l’admirable ensemble de qualités de tout ordre qui leur faisait contrepoids ! Si bien que, de mois en mois, le jeune Allemand se serait acquis plus d’autorité, et que bientôt, sur sa requête, d’autres commis allemands seraient venus s’asseoir près de lui, remplaçant des commis « indigènes, » décidément trop coûteux : tandis que ces remplaçans venus d’outre-Rhin, poussant à un degré « héroïque » leur légitime désir d’apprendre la langue française, s’accommodaient de n’être point payés lors même qu’on les savait dénués de toutes ressources personnelles ! — (On ignorait seulement qu’ils recevaient une pension régulière de l’une ou l’autre des deux grandes sociétés instituées en Allemagne, avec des capitaux de toute provenance, pour permettre ainsi à des employés pauvres d’aller « coloniser » des villes étrangères.)

Et que si les hasards du voyage nous avaient ramenés à Anvers cinq ou six ans après la première arrivée du doux et timide jeune garçon en lunettes, voici, d’après M. Claes, l’inquiétant tableau que nous aurions découvert : « Dans les bureaux du négociant, vainement vous auriez cherché un seul employé belge, à l’exception du menu fretin ; toutes les places tant soit peu importantes ayant été, L’une après l’autre, accaparées par des Allemands. Bien plus, les capitaux allemands auraient fini par jouer un si grand rôle dans les affaires du négociant que celui-ci s’étonnerait parfois de n’avoir pas encore été, lui-même, contraint de céder sa propre place à un confrère allemand. En fait, il y a longtemps que cette substitution dernière se serait accomplie, si les Allemands n’avaient pas estimé que le nom du négociant belge possédait une certaine valeur commerciale, la valeur d’une espèce d’enseigne, qu’il convenait de ne point sacrifier. »


Ainsi se propageait à Anvers le « microbe » allemand. A l’intérieur des bureaux où ils avaient réussi à se faire accueillir, les nouveaux venus examinaient soigneusement les registres et la correspondance, voire le contenu de la corbeille aux papiers du « patron. » Au dehors, ils se hâtaient de fonder les innombrables « sociétés » que j’ai dites, en même temps qu’ils resserraient leurs liens avec les grandes sociétés d’Allemagne qui les avaient envoyés à l’étranger et les y faisaient vivre. Insensiblement, sous leur impulsion habilement