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déguisée, l’ancienne cité flamande perdait son caractère distinctif, s’imprégnait d’une atmosphère essentiellement germanique. Il n’y avait pas jusqu’à ses dehors qui, chaque fois qu’on les revoyait, ne revêtissent plus manifestement la couleur et l’odeur d’une ville allemande. Je me souviens d’en avoir été très frappé, pour ma part, quelques semaines avant la déclaration de guerre : j’avais peine à reconnaître non seulement les quartiers nouveaux des alentours de la gare, mais aussi les vénérables ruelles voisines de l’Hôtel de Ville et de la Cathédrale. Tout cela, sans que l’on sût comment, s’était soudain « germanisé : » les mêmes maisons qui m’avaient naguère diverti et touché par leur flegmatique bonhomie flamande me faisaient à présent l’effet d’avoir été transportées là de quelqu’une des plus récentes « artères » de Berlin ou de Cologne. Et pas une boutique où l’on ne fût servi désormais par des commis allemands, obséquieux et pressés, au lieu de l’ancienne apathie somnolente de blondes demoiselles toutes pareilles aux martyres ou aux nymphes d’un Gaspard de Crayer.

Inutile d’ajouter que ces « taupes » allemandes avaient aussi leurs journaux, le Brusseler Zeitung, le Deutscher Anzeiger für Antwerpen, comme aussi leurs églises, où pasteurs et curés, — fort appréciés de la population belge dans leur rôle de professeurs gratuits de langue allemande, — ne se fatiguaient pas de tonner contre l’effroyable corruption religieuse et morale de la France. Mais surtout, c’était dans les journaux, et les églises, dans tous les milieux « indigènes, » que ces hôtes dangereux s’efforçaient patiemment d’insinuer l’influence allemande. A peu près invariablement, dans chacune des familles immigrées d’outre-Rhin, l’un des frères se faisait naturaliser belge, tandis que l’autre frère conservait avec soin sa nationalité allemande : par où l’on comprendra aisément combien leur race était arrivée à se sentir forte jusque dans les conseils de la cité et de la province ! A Anvers comme un peu plus tard à New-York et à Chicago, il fallait voir (et entendre) l’exubérant « loyalisme » de ces Flamands improvisés, — sans que d’ailleurs leur nouvel amour de la Belgique les empêchât, notamment, de souscrire des sommes énormes, en 1913, pour « l’augmentation des armemens de l’empire d’Allemagne. »

Et de la même façon que les Allemands d’Anvers exploitaient à leur profit la naïve piété des foules flamandes, en leur représentant l’esprit français comme purement diabolique, de même encore ils se servaient sans vergogne de l’attachement enraciné de ces foules pour leur langue nationale. M. Claes ne va pas jusqu’à oser admettre que