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historiques. Depuis le jour où Pertz, en 1819, fondait la société des Monumenta Germaniæ, toute une pléiade d’écrivains, d’érudits, d’archéologues, de paléographes s’est abattue sur le passé. Elle a catalogué, déchiffré, analysé, explorant tous les peuples et soulevant tous les problèmes. L’Allemagne n’eût-elle fait qu’exhumer des monumens, restituer des textes, multiplier les éditions, quelle n’eût pas été notre reconnaissance ? Mais comment ignorer aussi que, de ce labeur, la science n’a pas profité seule ? Giesebrecht écrivait, dès 1858 : « La science allemande a enrichi, éclairci l’histoire de tous les peuples de l’Europe ; la profondeur, l’impartialité, l’amour du vrai dont elle témoigne ont forcé la gratitude de toutes les nations…, Que doit, en revanche, notre propre histoire aux recherches des autres ? Nous n’avons pas besoin de répondre. » Et Giesebrecht ajoutait : « L’exaltation de la grandeur nationale a été le principe qui a permis à notre science historique de créer une vie nouvelle. » — Ainsi, dans cette vaste enquête, l’Allemagne mettait à part et hors pair ses titres. En demandant à l’histoire la révélation de son passé, elle y cherchait en outre le secret de son avenir ; ne se bornant pas à apprendre pour connaître, elle se formait à l’action. Dans quelle mesure ses grands historiens, Gervinus, Ranke, Giesebrecht, Waitz furent alors les ouvriers, et comme les « prophètes » de la politique d’unité, eux-mêmes nous l’ont appris. Nous savons aujourd’hui ce que la politique d’expansion doit à leurs successeurs. L’impérialisme n’a pas eu de meilleurs théoriciens que Treitschke et Lamprecht. Par eux, par leurs disciples, a achevé de se constituer toute une philosophie de l’histoire qui proclame comme un fait, un droit, une loi, la disparition des petits peuples, l’hégémonie mondiale de l’Allemagne, le triomphe du germanisme.

Comment cette philosophie s’est-elle formée ? Que vaut-elle ? Où conduit-elle ? Peut-être verrons-nous mieux ainsi ce qu’est devenue la pensée historique de la « Grande Allemagne » et quels sont ses droits à s’ériger en éducatrice de l’esprit humain.


I

C’est le propre des théories qui imprègnent l’âme d’un peuple et traduisent ses aspirations de s’élaborer, peu à peu, dans les