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voici la création parfaite, celle qui, sur la ruine des États particuliers, va établir l’universel, qui, dans l’unité d’une domination savante, doit organiser et régler la vie. L’humanité n’a qu’à courber la tête. Une loi fatale la condamne, pour son bonheur, à obéir. Et c’est par le fer, par le feu, que l’Allemagne prétend régénérer le monde, dans l’illuminisme de son rêve et l’ivresse de son orgueil exaspéré.


II

Dans son livre retentissant sur la politique de l’Empire, le prince de Bülow constatait naguère que l’unité allemande n’avait pas été accueillie avec joie par l’Europe. Nous comprenons ce sentiment. Les peuples qui professent de pareilles théories sont des voisins bien incommodes. Leur amitié n’est pas moins à craindre que leur rancune, et on ne sait jamais quelles perfidies cachent leurs caresses. Un symptôme était grave. En Allemagne même, malgré les efforts tentés pour défendre l’histoire contre cette philosophie du mécanisme, la tendance contraire, celle de Lamprecht, l’emportait. Et, en France, depuis un demi-siècle, l’influence de cette science historique nous avait envahis.

Ceux-ci l’admiraient pour sa puissance spéculative. Taine lui-même n’avait-il pas écrit que l’Allemagne avait « transformé, en un système de lois, l’histoire qui n’était qu’un monceau de faits ? « Ceux-là l’adoptaient pour ses méthodes. Nous avons connu dans notre jeunesse cette contagion. Une édition était bonne, quand elle venait de Leipzig ; une critique impeccable, quand elle tombait de quelque chaire d’outre-Rhin. Nos universités voyaient naître toute une équipe d’historiens qui, prenant en pitié la culture classique et les idées générales, s’évertuaient à entasser les fiches, les références, les variantes, à accumuler la bibliographie sous couleur d’être informés, à être diffus sous prétexte d’être exacts. Mais tandis que, sous l’emprise de ces méthodes, les esprits exaltaient l’effort scientifique de l’Allemagne, la sûreté de son érudition, l’étendue de ses recherches, ils perdaient de vue la machine de guerre qui, sans bruit, au nom de la science, s’élevait contre le droit des peuples. Fustel de Coulanges avait bien aperçu ce que cachaient ces théories « scientifiques » du développement et de la race, et, après lui, quelques-uns de nos sociologues s’étaient inquiétés des