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diverses, autour de noyaux distincts. Un peuple se crée, défini par son territoire, sa langue, ses traditions, ses intérêts et ses idées. Ces grandes individualités sont les organismes qui désormais vont dominer l’histoire.

Par une évolution analogue, le régime des États appelait un système nouveau de relations. Entre ces groupes, inégaux d’âge, de structure et de puissance, des rivalités vont naître. Or grands ou petits, tous ayant un intérêt semblable, durer, un frein sera nécessaire à leurs ambitions comme une garantie à leur liberté. Le principe d’équilibre apparaît alors. Et telle fut sa force que, maintes fois menacé, il ne cessa de se défendre. L’expérience nous l’atteste. Celui de ces États qui, à un moment donné, a prétendu imposer son hégémonie, a trouvé contre lui l’accord de tous les autres. Le principe d’équilibre a triomphé de Charles-Quint. Il a arrêté les conquêtes de Louis XIV. Il a brisé le rêve de Napoléon. Après 1815, l’Europe lui a dû un demi-siècle de paix. Il est vrai, au milieu du XIXe siècle, un principe différent a semblé ruiner son œuvre. Au nom du droit des races, une grande monarchie, unitaire et militaire, s’est constituée au centre de l’Europe. Mais le principe des nationalités qui a créé un puissant empire travaille aujourd’hui en faveur des petits peuples. Serbes, Hellènes, Slovènes, Roumains, Slaves de Pologne ou Tchèques de Bohême, les uns émancipés, les autres résolus de s’émanciper, rétablissent peu à peu le contrepoids. Les deux principes, un moment contraires, tendent à se concilier. Quel est donc le sens de la guerre actuelle, sinon la défense des petites nationalités et de l’équilibre du monde ? La force des choses nous ramène à la vieille loi. La majorité des peuples ne peut renoncer à un système qui, respectant le droit de chacun, assure l’indépendance de tous. Le principe d’équilibre est lié indissolublement à l’existence des organismes nationaux. Il la suppose comme il la consacre. Ce sont tous les États que le germanisme menace, en se flattant de les rompre à son profit.

Ce régime est-il à son déclin ? Le monde est-il entré dans une autre période de son histoire ? Les théoriciens de la grande Allemagne nous l’affirment. Les transformations profondes de la fin du dernier siècle, les découvertes, les conquêtes coloniales, l’émigration, le progrès des sciences non moins que la rapidité merveilleuse des communications, l’internationalisme de