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positif avant de se prosterner devant la Croix. — Que conclure donc ? Peut-être nos formes sociales, comme nos théories intellectuelles, ne sont-elles pas en nombre indéfini ? Chaque génération façonne à son usage la ruche où elle s’enferme, mais le nombre même des ruches est restreint. Et ne semble-t-il pas que nos grands systèmes se rattachent tous, plus ou moins, à quelques « catégories » initiales, quelques idées simples, dont les combinaisons seules sont innombrables ? L’humanité tournerait ainsi, sans se lasser, dans le cercle un peu étroit de ses expériences ; aucune d’elles n’est définitive. Bien des fois nos progrès donnent l’illusion d’un recommencement. Quelle part de vérité dans le vieil adage qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil qui éclaire, impassible, nos perpétuelles contradictions !

L’histoire n’est point une dialectique. Elle n’avance pas d’un mouvement uniforme, continu, mais par une suite d’oscillations. Il y a donc quelque fondement à la théorie de Vico, à la condition cependant d’exclure de ces « retours » le régulier et l’identique. Ce serait encore un mécanisme. Le rythme sera toujours quelque peu désordonné. Imaginez une symphonie où, de temps à autre, reparaissent les mêmes motifs, mais à intervalles inégaux, sur des modulations nouvelles. L’évolution se poursuit, parfois, d’un glissement insensible, ailleurs, accélérée ou soudaine. Telle société ne se transforme que par degrés ; telle autre, par secousses. Celle-ci semble si bien défier l’œuvre des siècles qu’on la croit immobile ; celle-là change si brusquement qu’elle parait un autre peuple. Et dans chaque société, combien inégale la force d’impulsion ou de résistance des organes ! La loi de corrélation qui unit les parties de l’ensemble ne les contraint pas à se modifier toutes en même temps. Un gouvernement se continue, la structure des classes s’altère ; le, régime social peut changer, les croyances demeurent ; une croyance disparait, alors que les institutions lui survivent. Enfin, dans ces retours inconsciens ou volontaires du passé, ne sommes-nous que des copistes ? L’histoire ne se répète jamais complètement. Il n’y a pas deux idées, deux faits, deux milieux, pas plus que deux individus, absolument semblables. Nous innovons là même où nous ne croyons que reproduire. Il n’a pas suffi aux Français du Directoire de porter la toge ou la tunique, de restaurer le consulat, de déclamer contre les tyrans pour faire revivre la Rome républicaine. Des institutions, des