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sa croissance que des voix s’élevaient, un peu partout, pour prédire son agonie. Et voici que, dans le choc effroyable qui nous fut imposé, germent les vertus les plus hautes, l’endurance, le sacrifice, la tension de toutes les énergies, l’union de toutes les pensées, la volonté de se défendre, au prix même de la vie, et la conscience de servir quelque chose de plus grand, de plus durable que la vie : notre liberté et notre honneur… La France aura vérifié ainsi cette loi de renouvellement et de vitalité qu’un de ses plus illustres enfans, Le Play, avait eu le mérite de définir. L’Allemagne croit aux peuples prédestinés. Il y a surtout des peuples responsables. Les sociétés peuvent quand elles veulent. Elles ne subissent pas leur avenir : elles le créent.


IV

C’est encore M. de Bülow qui a écrit : « Dès qu’il s’est trouvé pour une chose une formule intellectuelle, un système, nous nous empressons, avec une ténacité imperturbable, de lui adapter la réalité… »

Le monde sait maintenant de quelles adaptations l’Allemagne est capable. Une conception de l’histoire dédaigneuse des faits, serve de la force, négatrice de liberté, imprégnée de matérialisme, construction artificielle d’ailleurs, trop simple pour être vraie, trop lourde pour être belle, où se discernent, plus encore que l’amour de la vérité, les appétits d’un peuple, en un mot, une philosophie de rapaces, toujours prêts à fondre, à dépecer, voilà ce que le germanisme prétend imposer au nom de la science. — En présence de ces idées, la France comprend-elle maintenant pourquoi elle lutte et pourquoi meurent ses fils ? Sans doute, ses frontières historiques, quelques parcelles de son sol, morceaux de sa chair vive, l’équilibre de l’Europe, l’indépendance des peuples, Mais derrière ces intérêts, ce sont aussi les doctrines qui s’opposent. Dans la lutte gigantesque se heurtent deux esprits. C’est son génie que la France défend ; non seulement ces qualités charmantes qui ont fait de sa littérature ou de son art la parure de l’Europe, mais ces vérités essentielles et éternelles sur lesquelles l’avenir du monde n’a cessé de reposer. La nation qui, tant de fois, s’est élevée contre la croyance au fatalisme, sous quelque nom qu’il s’offrit à elle, qui la première a proclamé la liberté de la conscience, appliqué