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cendus de l’express, dont la longue ligne fumeuse et tressautante filait déjà vers Toulouse et Bordeaux. Cependant, dans la cour, les cochers des grands hôtels entouraient cet étranger de bonne apparence qui ne semblait point pressé de se remettre en route. Debout, son bagage posé à ses pieds, il jetait un premier coup d’œil sur ce qu’on apercevait de la vieille cité respectable, les gfandes avenues bruyantes, très éclairées, et, plus loin, comme un puits d’ombre et de silence... La journée avait dû être chaude, bien que ce fût le commencement d’octobre; une odeur de pierre brûlée sortait des murailles, qui ne devaient jamais perdre complètement aux heures nocturnes la profonde tiédeur que durant le jour le soleil déposait en elles. Mais làbas, dans le lacet des rues étroites et longues que l’œil devinait, la fraîcheur devait régner avec l’ombre ; les étoiles au-dessus semblaient plus brillantes et plus serrées dans une zone de ciel plus sombre.

Michel se demandait dans quel quartier de la ville il allait être appelé à habiter; il ressentait une impression singulière qu’il analysait mal encore : c’était à la fois le contentement qu’on éprouve au terme d’un long voyage, et l’appréhension de l’inconnu. Français, il ignorait à peu près complètement la France; Parisien, il n’avait jusqu’à présent quitté Paris que pour de rapides randonnées dans les régions environnantes, et il conservait le préjugé de la province, de son atmosphère, de ses mœurs, de son esprit et de son « arriérisme. » Il avait fallu la mort de son père, dont il portait encore le deuil, pour qu’il se décidât, — sa mère étant morte elle-même quelques années auparavant, — à accepter l’invitation d’un vieil oncle qui le pressait de venir terminer à Montpellier auprès de lui ses études médicales. Là, du moins, il ne serait pas aussi isolé; il secouerait un peu cette tristesse de la solitude qui pesait sur sa jeunesse ; il pourrait travailler avec plus de quiétude et de stabilité, et conquérir ainsi plus rapidement ses grades. Cet exil ne serait pas très long; après, il entrevoyait dans ses rêves une carrière brillante au sein de la capitale. Il était résolu à faire violence à la fortune : au collège, il avait toujours été le premier ; pourquoi dans son existence d’homme ne continuerait-il pas à occuper les premières places? Cela valait bien le sacrifice qu’il consentait de trois ou quatre années consacrées au labeur austère, loin des centres brillans où il était accoutumé à vivre.