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allait conférer aux syndicats ouvriers, il ne laissa point douter de son adhésion générale, mais il était alors engagé dans une série de combats particuliers où il lui arriva de n’être battu un jour qu’à deux voix de majorité (123 contre 125). Il n’en fit pas moins grande impression par la meilleure partie de son discours, qui fut très nourri et très serré, soutenu par un élan qui visait les vraies réformes destinées à attendre si longtemps leur réalisation complète. D’un côté, il voulait qu’on prit des précautions contre un esprit syndicaliste imprégné d’habitudes de lutte et de division : de l’autre, il réclamait plus de confiance que le pouvoir n’en témoignait envers le droit d’association pour tout le monde, excepté pour les malfaiteurs. Telle qu’on la présentait et qu’on allait alors la faire voter, cette loi, — le mot était bien fait pour porter, — était, en somme, « une loi de privilège[1]. » « J’espère, ajouta-t-il, qu’il n’en sera pas longtemps ainsi, et que la loi générale sur les associations fera participer, avant qu’il soit peu, les associations de toute nature aux mêmes faveurs. »

En quoi le privilège accordé semblait-il surtout excessif à M. Bérenger ? En ce que, non content d’autoriser les ouvriers à se réunir, à s’entendre, à se concerter eux-mêmes (ceci lui paraissait très légitime), le projet de loi leur offrait le pouvoir trompeur de créer des syndicats de syndicats de professions diverses. Pourquoi ces unions factices sans limites ni de lieu, ni de similitude de professions, alors qu’on en exclut ce qui n’est pas proprement ouvrier ? De pareils groupemens, dits professionnels, sont évidemment destinés à discuter, non plus les intérêts tangibles et en quelque sorte expérimentaux d’une profession déterminée, mais l’ensemble de ces problèmes de la vie ouvrière qui, inséparables, comme ils le sont en réalité, de la vie totale du pays, ne peuvent être résolus que par la représentation totale de ce même pays, c’est-à-dire par l’Etat ?

On aurait pu répondre : Ils ne doivent être résolus que par l’État, soit ! mais il ne s’agit que de les laisser étudier. A quoi l’orateur ne pouvait manquer de répliquer : Mais alors, accordez tout de suite ce que nous demandons en faveur de toutes

  1. On sait qu’elle l’eût été bien davantage si une portion heureusement inspirée n’avait pas introduit presque subrepticement ces deux petits mots : « et agricoles » dans une loi qui n’avait eu en vue, chez les hommes au pouvoir, que les syndicats des ouvriers d’industrie, des ouvriers urbains par conséquent.