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même opinion le 4 novembre : « Vous avez une fameuse presse dans les tranchées. À vous, jusqu’ici, le maximum de bombardement[1] ! » Mais c’était avant la prise de Dixmude. Et leur tiendrait-on ce langage, maintenant que la ville est tombée. Quel accueil leur réserve le général d’Urbal, qui doit les passer en revue dès demain, sans même leur laisser le temps de se débarbouiller et quand, tombés dans un cantonnement archi-comble, ils ont encore dans les jambes les vingt-sept kilomètres de leur marche nocturne sur Hoogstaede et Gyverinchove ? Maisons, fermes, tout est bondé, au point que des officiers durent coucher dans les autos. Mais le commandant de la 8e armée n’a pas voulu attendre une heure de plus. Et peut-être, pour une âme de soldat, est-ce bien le plus beau spectacle qu’elle se puisse donner que celui de ces débris d’une troupe de héros saisie à l’état brut, si l’on peut dire, et dans sa croûte de gloire mal séchée.

Le matin du 18 novembre, sous un ciel brumeux et triste, que perçaient les premières flèches de l’hiver, le général d’Urbal, suivi d’un peloton de trente dragons portant son guidon tricolore, passait au galop sur le front de la brigade, descendait de cheval et décorait au son du canon le contre-amiral Ronarc’h et deux des plus jeunes fusiliers des 1er et 2e régimens, la vieille marine et la nouvelle, symbolisées par ces trois hommes, dont l’un recevait la cravate de commandeur, et les deux autres, « âgés de dix-sept ans et demi, » la médaille militaire. Les assistans remarquèrent que, par dérogation au règlement qui ne prescrit l’accolade que pour les légionnaires, le général, au lieu de serrer la main des deux matelots, les embrassa. Il expliqua brièvement que, sur leurs joues imberbes, il embrassait la brigade tout entière, quatre semaines d’héroïsme, le front de l’Yser consolidé, Dixmude rendue inutilisable pour l’ennemi, notre victoire affirmée par son désistement « C’était superbe, » écrit le commandant

  1. « Je venais de faire retraiter mon groupe, à trois cents mètres plus loin, dans une grange, et j’étais assis dans mon auto, quand je vois passer sur la route mon beau-frère, le brillant colonel de cavalerie Le Gouvello, que je n’avais pas revu depuis un an. Beau comme un dieu, il revenait d’une mission auprès de notre état-major : « Eh bien ! mon pauvre vieux, tu as donc touché une prune ? — Comme tu vois. — Ça ne sera rien ? — Presque rien. — Mes complimens. Il est chic, ton amiral, et vous avez une fameuse presse dans les tranchées. À vous jusqu’ici le maximum de bombardement ! » (Journal du Dr Petit-Dutaillis.)