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sang. Piteux défilé ! La brigade trouvait une compensation dans la bonne grâce des habitans. « Partout ils nous accueillent d’une façon touchante, écrit un officier[1]. Les femmes nous comblent de prévenances : elles passent de groupe en groupe avec de grandes cafetières, des paquets de tabac. Les propriétaires nous offrent des chambres. C’est grâce aux marins que Dunkerque n’est pas tombée aux mains des Boches, et on sait les en récompenser. » Seul, à Saint-Pol, le commandant Geynet, qui vit « en popote » avec ses officiers, n’a pas à se louer d’un fermier flamand dont l’attitude contraste singulièrement avec celle des autres habitans : « Hier, pour le déjeuner, écrit-il, nous étions en pays français. Un paysan n’a même pas voulu nous laisser manger dans sa cuisine ; nous avons dû déjeuner sur la neige. Une belle nappe bien blanche, mais il faisait si froid que la bière gelait dans la timbale ! » De ces cœurs plus glacés que la température, combien étaient acquis à l’ennemi bien avant la guerre et lui servaient chez nous de fourriers ! Une hirondelle ne fait pas le printemps, ni un mauvais Flamand toute la Flandre : partout ailleurs la brigade, choyée, fêlée, était reçue « à bras ouverts » et déjà les hommes prenaient leurs dispositions pour passer sur place la quinzaine de repos dont ils avaient tant besoin ; cent trente sacs de lettres en souffrance à Dunkerque allaient calmer enfin leur fringale de nouvelles, quand brusquement, vers midi, le 23 novembre, arriva l’ordre de se tenir prêts au départ. « Choisir les hommes les plus solides, compléter les cartouches à 200, donner un repas froid et deux jours de réserve, » telles étaient les instructions passées aux officiers : le lendemain, à six heures du matin, les autobus devaient venir prendre la brigade et la transporter dans un lieu déterminé.


IV. — À LOO

Qu’était-il arrivé et où allait-on ? Les versions les plus contradictoires circulaient les uns disaient qu’on allait à Nieuport, où la ligne des Alliés avait fléchi ; les autres qu’on nous envoyait à la Panne prendre la garde d’honneur du roi des Belges ; les mieux renseignés, qu’on nous dirigeait sur Loo et le front de l’Yser menacés.

  1. Carnet du Dr L. G