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Clerken et Roulers. Mais la ville s’est insuffisamment préparée à son nouveau rôle. Et, depuis longtemps déjà, les troupes qui s’y succèdent ont épuisé toutes les ressources locales[1]. Ce serait la famine, le désert, comme après le passage des sauterelles, si Mercure, dieu du risque et des profits rapides, n’avait touché de sa grâce tant d’honnêtes Flamands sédentaires : d’Hondschoote, de Furnes, de Coxyde, débarquent journellement, par brouettes attelées de chiens ou poussées à bras d’hommes, des conserves, du tabac, des bougies, des allumettes, du thé, du savon, toute une pacotille hétéroclite, cartes transparentes et cartes postales comprises, jusqu’au moment où défense viendra d’employer ces dernières pour la correspondance en raison des renseignemens qu’elles peuvent fournir sur les positions assignées à nos troupes.

La vie est un peu chère sans doute dans les restaurans de Loo. Cependant voici un officier supérieur, le commandant Geynet, qui ne paie que 5 francs par jour ses repas et 1 fr. 10 sa chambre. Cela n’a rien d’excessif en vérité, même pour un prix de guerre. Et, tout doucement, « on se remplume. » Les cent trente sacs de lettres en souffrance à Dunkerque et après lesquelles on soupirait depuis si longtemps sont arrivés le 25, dans un « gros chariot » qui suivait la brigade. Le dépouillement de cette volumineuse correspondance occupera une partie de la journée et pas mal d’heures des suivantes. C’est qu’une lettre au front, comme elle est un régal pour les cœurs, est encore « une fête pour tous les sens : on la palpe, on la respire, on la déguste autant qu’on la lit. Et l’ouïe retrouve sous les mots le timbre familier de la voix qui les dicta[2]. » Toutes ces opérations prennent évidemment un certain temps. Et, par surcroît, quand elle est sue par cœur, la lettre passe de main en main. Tant de ces hommes sont du même pays, souvent du même village ! Et les langues d’aller leur train ! Rien ne presse : on peut bavarder à l’aise, puisque les Boches ont de l’occupation ailleurs. On sait que les alpins et les coloniaux tiennent « fameusement » à Steenstraate, devant Bixschoote, où ils forment l’aile droite de l’armée anglaise, le long du canal

  1. « Heureusement, dans tous ces pays, il n’y a plus de ressources d’aucun genre, pas même d’alcool, ce qui nous protège de l’ivrognerie, la plaie des régimens de marins. » (Lettre de l’enseigne de Cornulier.)
  2. Enseigne B… Corresp. part.