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d’Ypres à l’Yser. Sur l’Yser même, les territoriaux « se conduisent très bien[1]. » Ce sont des régimens bretons ; nos hommes ont là des parens, des amis. On fraternisera à la première occasion. En attendant, on est content de savoir que, « troupes de terre ou troupes de mer, les mibien ann hini Goz (les fils de la Vieille) font partout leur devoir[2]. »

Puis il court toutes sortes de rumeurs favorables : à Lyon et à Rouen, — ou peut-être à Tarascon, — nous avons des réserves « énormes, » qui vont entrer en ligne aussitôt fait leur plein de munitions, « deux millions d’obus, » précisent les renseignés ; le forcement des Dardanelles n’est qu’une question de jours : on l’attend pour la fin de la huitaine, de la quinzaine au plus. Le 30 novembre, un de nos médecins surprend une conversation sous sa fenêtre : « Ma femme, dit un des interlocuteurs, a vu l’ambassadeur de X… qui lui a confirmé que, pour fin décembre, les Russes seraient à Vienne et que Berlin ne serait pas loin d’être investie. » Ces sornettes font le tour des carrés : dans la guerre moderne, le front vit en vase clos plus encore que l’arrière et la faculté critique n’y trouve à s’exercer que sur des on-dit.

La grande affaire, presque la seule pour le moment, est la réorganisation de la brigade. Elle va bon train. Le commandant Geynet, dont certaines compagnies n’avaient plus qu’un tiers de leur effectif, reçoit enfin, le 28, 450 hommes de Paris, « de beaux gars qui, comme leurs anciens, n’ont qu’un désir, aller au feu. » Il les prend en main aussitôt. D’une heure à quatre, tous les jours, il leur fait faire l’exercice dans la campagne ; il les entraîne à la marche et au maniement des pioches ; il tâche surtout, par ses harangues enflammées, de leur communiquer son ardeur, sa brûlante soif de sacrifice. Mais, mieux que toutes les paroles, le canon qui gronde sans discontinuer retentit dans ces âmes. Comment garder son sang-froid quand les marmites tombent à moins d’un kilomètre de la ville ? Le 28, sept hommes sont ainsi blessés dans la campagne par l’explosion d’un obus. Conditions plutôt fâcheuses pour un cantonnement de tout repos, comme devrait être celui de la brigade. Le général d’Urbal en a convenu tout le premier. Il a dit, le 26, aux officiers, qu’il les avait fait revenir parce qu’on

  1. Carnet du docteur T
  2. Lettre du deuxième maître Le C…