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de 1789, et affligé des infractions nombreuses qu’on y a faites, il explique que si la justice, dans la division de travail que lui imposent des intérêts très divers, a besoin d’ « institutions auxiliaires, » c’est une faute d’avoir voulu en faire autant de juridictions séparées. Il ne doit y avoir qu’une justice, s’éclairant, s’il le faut, et selon les cas, auprès de certains hommes spéciaux, mais prononçant toujours sous la seule garantie qui puisse vraiment rassurer et, — au besoin, — désarmer tous les justiciables, c’est-à-dire l’inamovibilité. Pour lui, il le dit très ouvertement, « la justice administrative n’a sa raison d’être que dans la pensée, d’ailleurs avouée par plusieurs de ses partisans, d’avoir des juges plus favorables aux intérêts de l’Etat. »

On devine alors de quelle indignation il dut accueillir l’épuration de la magistrature. Il ne s’agissait, disait le ministère, que de rendre possibles des réformes sur lesquelles nous sommes d’accord : c’est uniquement pour avoir là les coudées libres, que nous sommes obligés de remanier la composition de nos cours et tribunaux ; pour cela, il nous faut toucher à l’inamovibilité, mais nous le ferons discrètement et seulement pour cette fois. M. Bérenger ne prononce pas ici le mot peu parlementaire d’hypocrisie ; mais il ne craint pas de donner à son jugement une forme piquante. Il représentait le politicien disant au magistrat :


La maison est à moi, je le ferai connaître,
C’est à vous d’en sortir, vous qui parlez en maître…


mais la partie la plus émouvante de son discours est celle où il expliquait l’état douloureux où le jetait cette tactique déloyale. « Messieurs, dit-il, nous sommes plusieurs ici qui, de tout temps, avons pensé qu’il y avait une réforme à faire pour améliorer et fortifier nos institutions judiciaires. Cette réforme, nous avons cherché à la préparer par nos études et nos discours : nous l’avons appelée de nos vœux les plus ardens. Et voici qu’au jour où elle semble se présenter, nous sommes pris d’une inquiétude et d’un trouble véritables. Le projet qu’on nous apporte subordonne les réformes à des combinaisons d’une nature exclusivement politique, qui les allèrent et les dénaturent et dont la gravité extrême a mérité qu’on les qualifiât ici d’exceptionnelles et d’odieuses… Si le malheur veut que l’article 15 soit adopté, nous considérerons la loi tout entière