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Mais les souliers ne sont toujours pas « signalés, » ce qui amène les protestations des officiers. Va-t-il falloir que leurs compagnies retournent au feu avec leurs savates éculées, qu’elles hivernent pieds nus dans la boue des tranchées ? Le 4 décembre, enfin, on réussit à obtenir « une bonne paire de brodequins pour chaque homme ; » mais « impossible de compléter à deux, chiffre réglementaire. » Comme « variétés de taille, » les effets laissent aussi « un peu à désirer[1]. » Telle quelle, la brigade est « parée » et ne demande qu’à lever l’ancre. « Les officiers comme les hommes sont bien malheureux d’entendre le canon, écrit le 1er décembre le commandant Geynet, de voir incendier des fermes à un kilomètre et de ne pas marcher. » On ne sait pas encore sur quel point du front la brigade fera cap. Sur Nieuport peut-être, écrit-il le 2, pour donner la main au bataillon de Jonquières. « Si c’est vrai, quelle chance ! Il paraît, comme dit le matelot, que « ça barde là-bas. » Il vaut mieux y être carrément que d’être bêtement à la merci d’une marmite comme les gens de cette nuit. Puis cette vie de tranchées est passionnante : on souffre, il est vrai, du froid ; on ne se déshabille jamais. Mais c’est épatant… » — « Nous sommes impatiens de retourner au feu, écrit-il encore le 3. Tous les matins, on calme notre impatience en nous promettant que ce sera pour demain. Le soir, on boucle les cantines… et on reste. » Enfin, à la date du 4 : « Depuis ce matin, la canonnade fait rage. On prépare l’offensive. Vous ne pouvez croire combien ce mot électrise les hommes. Quand, à l’exercice, je leur dis : « On va marcher, les gars ! » ils regardent avec fierté leur baïonnette, car, disent-ils, il y a plus de « jeu » à embrocher un Prussien qu’à le tuer d’une balle. »

Ce jeu-là, ils le connaîtront bientôt ; mais par quelle vie de misère, quelles souffrances, quelles privations, il faudra l’acheter ! Dans l’enfer des Flandres, si Dixmude fut le cercle de feu, Steenstraate, qui allait s’ouvrir, fut le cercle de boue.

Charles Le Goffic.
  1. Journal de l’enseigne C. P…