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En vérité, ce que nous venons de dire suffit pour caractériser la doctrine dont s’inspirait le pouvoir royal à la veille de la convocation, des États Généraux. Déjà l’État avait recours aux mesures arbitraires, que la Convention nationale adopta quelques années plus tard, c’est-à-dire aux inventaires, aux visites domiciliaires et aux réquisitions. Déjà le spéculateur était dénoncé, et sa coupable industrie se trouvait condamnée, sans que personne prit soin de distinguer le négociant de l’accapareur ; déjà le cultivateur lui-même était traité en suspect, car, dans son arrêt du mois d’avril 1789, le Roi invitait expressément, au nom du bien de l’État, les propriétaires et fermiers « à garnir les marchés, à ne pas abuser de la difficulté des circonstances, et à user de modération dans leurs prétentions. », Le public n’était pas assez éclairé pour comprendre les avantages de la liberté du commerce et pour faire justice des attaques dont les marchands de grains devenaient l’objet. On conserve aux Archives nationales, parmi d’autres brochures instructives, une curieuse « adresse au peuple français, » qui a pour titre : Le cri général.. Elle a été rédigée au début de l’année 1789, et l’auteur, après avoir flétri l’avarice des propriétaires ainsi que la dureté des accapareurs, réclame déjà la taxation des grains et celle du pain !

« Il semble, dit-il avec assurance, que l’on pourrait éviter tous les malheurs par une loi certaine, inviolable, et générale pour tout le royaume, et en décidant que le meilleur pain ne pourra jamais, même dans la disette, se vendre au-delà de … la livre, prix auquel le journalier puisse toujours atteindre, de manière qu’en cas de famine, il sera partagé au susdit prix à chacun, sans que le riche, en y mettant l’enchère, puisse en priver les malheureux… ; que le blé ne pourra jamais se vendre jau de la de… qu’à ce prix, les municipalités pourront forcer chaque propriétaire de grain à leur vendre l’excédent de son nécessaire et seront autorisées à faire l’avance des frais pour s’en procurer. »

On pourrait croire que de pareils projets restaient sans influence sur l’opinion et, en particulier, sur les cours des grains. Il n’en était rien, malheureusement. Habilement et rapidement colportées, les brochures dont nous venons de citer un