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comme altérée, comme entachée d’un vice odieux que notre institution tout entière ne pourrait supporter sans en être profondément ébranlée, et nous voterons contre elle. »

Vint plus tard cette autre crise qui, pour éclater à propos d’un fait individuel, n’en fut pas moins retentissante et troublante. Hâtons-nous de dire qu’il ne s’agit pas ici de l’ensemble de l’affaire ni d’aucun des faits à juger, mais de cette loi qui s’appela loi de dessaisissement. En plein cours d’une cause, le ministère modifiait la composition du tribunal, en chargeant ainsi le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif de se prononcer sur la partialité ou l’impartialité de juges correctement désignés, correctement investis de leur tâche. Il est impossible de ne pas rappeler ici l’intervention de l’honorable sénateur et de n’en pas fixer le caractère précis. Pour le faire en toute sûreté, il n’y a qu’à suivre son propre exemple ; car dans une discussion si mémorable, il fut d’une dignité à laquelle il fallut bien que tout le monde rendit plein hommage. Ancien magistrat, défenseur né, pour ainsi dire, de la mission du magistrat, il ne voulut se prononcer que sur un point, sur la nécessité de laisser les juges naturels se prononcer seuls, sans ingérence d’aucun pouvoir étranger. Il n’était ni de ceux qui oublient la forme pour le fond, ni de ceux qui veulent imposer l’oubli définitif du fond comme réparation des écarts de la forme, ni de ceux qui prétendent pouvoir corriger une illégalité par une autre. Il se plaçait plus haut. Il se tenait et s’efforçait de tenir ses auditeurs face à face avec ces principes impersonnels qui n’assurent les garanties dues aux innocens que si les coupables ou ceux qu’à tort ou à raison l’on estime tels sont certains de les obtenir en parfaite égalité. Ce jour-là, M. Bérenger, on peut le dire, fut supérieur à lui-même comme à tous ceux qui l’écoutaient, tant il plana au-dessus des contingences, des partialités et des vraisemblances diverses. De la passion il n’eut que le meilleur, c’est-à-dire cette émotion frémissante qu’éprouve et que veut à tout prix communiquer un homme de cœur devant le péril couru par une cause qui se confondait pour lui avec l’honneur de la justice et avec celui de la patrie.

Dans son admirable discours, il avait débuté par cette affirmation qu’il avait estimée nécessaire parce que l’avis qu’il allait défendre était, disait-on, celui des francs-maçons : « Je viens dire, messieurs, que j’appartiens à des doctrines politiques et