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Elle fit, sans le vouloir apparemment, une classe privilégiée. Ils surent tellement en profiter qu’ils sont maintenant dans la République ce qu’étaient les grands dans la monarchie. C’est par leur cupidité, leur inhumanité, c’est par la plus dure des aristocraties, qu’ils se font distinguer, et, quoi qu’on en dise, je déclare que je ne vois pas en eux des cultivateurs, mais bien des spéculateurs avides et dangereux dans un État libre. »

Le remède indiqué n’était autre que la réquisition, la division obligatoire des exploitations rurales, et… le maximum du prix des subsistances !

Thirion voyait dans la taxation un moyen de détruire le commerce de gros, « toujours nuisible à la société. »

Phélippeaux réclamait pour les corps administratifs le droit de réquisition, seul capable d’assurer l’approvisionnement des marchés ; d’empêcher les transactions frauduleuses et de mettre un terme à la funeste industrie des accapareurs. Cette mesure générale devait être complétée, selon lui, par l’obligation imposée aux cultivateurs de faire des déclarations fidèles de toutes leurs récoltes.

Enfin, la fixation d’un prix maximum servirait à interdire « les calculs ineptes de l’égoïsme. » En se contentant d’un profit raisonnable, l’agriculteur n’était-il pas d’ailleurs trop heureux de se trouver protégé contre la violence, et de mettre ses biens à l’abri, sans être exposé aux revendications des « ventres affamés ? »

On voit que la menace était à peine voilée. Les amis du peuple n’hésitaient pas à faire bon marché du droit de propriété : le pillage se trouvait excusé d’avance.

Robespierre, dialecticien subtil et sophiste audacieux, confondait le monopole avec la propriété et s’attaquait à celle-ci pour combattre l’accaparement.

« La première loi sociale, disait-il, est celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister ; toutes les autres sont subordonnées à celle-là. C’est pour vivre d’abord que l’on a des propriétés. Il n’est pas vrai que la propriété puisse jamais être en opposition avec la subsistance des hommes. Tout ce qui est nécessaire pour la conserver est une propriété commune à la société entière ; il n’y a que l’excédent qui soit une propriété individuelle et qui soit abandonné à l’industrie des commerçans.