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prince étant allé le voir, l’aborda en lui disant qu’il venait prendre congé de lui, car il se souviendrait toujours avec reconnaissance du temps où ils avaient travaillé ensemble au bien de l’Allemagne.

À ces paroles amicales Bismarck répondit par des reproches.

— C’est bien par votre faute que je m’en vais maintenant, fit-il avec humeur. En appuyant les lois ouvrières auprès de l’Empereur, vous avez contribué à me brouiller avec lui.

Le grand-duc protesta en rappelant que, si le différend avait dégénéré en rupture, c’était par suite des affaires prussiennes dont il ne s’était jamais mêlé. Bismarck s’emporta et devint si grossier que son interlocuteur arrêta l’entretien, « sa dignité lui défendant d’en entendre davantage : »

— Je veux me séparer de vous en paix, déclara-t-il, et je m’en vais sur ce vœu auquel vous ne manquerez pas de vous associer : Vive l’Empereur et vive l’Empire.

Ainsi, à tout instant et de tous côtés, la Cour de Berlin recueillait des témoignages de l’inimitié dont l’Empereur était l’objet de la part de Bismarck. En se les communiquant, on les exagérait et on les envenimait dans l’espoir de déterminer le souverain à châtier les intrigues de son détracteur. Mais Guillaume II, nous l’avons dit, était résolu à ne pas se départir de son apparente impassibilité, soit dédain, soit crainte de blesser l’opinion nationale en sévissant contre l’auteur de l’unité allemande.

Vers le même temps, on constatait que l’ex-chancelier invitait fréquemment à venir le voir divers personnages avec lesquels il avait toujours entretenu des relations amicales. Dans le nombre se trouvait le comte Schouwalof, ambassadeur de Russie à Berlin. Intimement lié avec Bismarck, il lui avait promis sa visite antérieurement à la chute et peut-être maintenant regrettait-il de s’être engagé, craignant de déplaire à l’Empereur en allant à Friedrichsruhe. Il se décida néanmoins à tenir sa promesse. Lorsque, à la Cour, on apprit qu’il était parti, on attendit avec impatience son retour, les courtisans étant convaincus que, durant son séjour à Friedrichsruhe, il recevrait les confidences de son amphitryon et qu’ensuite, ù ne se ferait pas faute de les répéter.

Mais cette attente fut trompée. Rentré à Berlin, l’ambassadeur russe resta impénétrable jusque dans son entourage le plus familier. Quand on l’interrogeait, il répondait en parlant