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fut, hélas ! moins triomphant. Les marchands de Venise qui avaient prêté au basileus, à son arrivée, de fortes sommes, voyant qu’il allait repartir sans les leur rembourser avec les intérêts, mirent opposition à son départ, et l’Europe étonnée vit le successeur de Constantin prisonnier pour dettes. Heureusement que le second fils de Jean, Manuel, plein de déférence filiale, apprenant ces nouvelles a Salonique où il commandait, parvint aussitôt, à force d’activité, à réunir de grosses sommes et s’embarqua pour Venise, d’où il ramena son père, après avoir désintéressé ses féroces créanciers.

Ce même prince Manuel, successeur de son père après d’émouvantes péripéties, fit, lui aussi, nous venons de le dire, pour le même objet, un long et célèbre voyage en Occident. C’est ce voyage très curieux, dont nous savons d’assez nombreux et piquans détails, que je voudrais ici raconter. Cet empereur Manuel fut un homme tout à fait exceptionnel. Non seulement il se montra constamment, dans les plus tragiques circonstances d’un règne perpétuellement agité par les pires catastrophes intérieures et extérieures, le plus courageux des souverains en même temps qu’un soldat accompli, très brave et très bon, mais il fut un fin lettré, avec toutes les qualités de l’esprit le plus distingué, un véritable intellectuel de la meilleure marque, ayant fait, dans sa jeunesse, les études classiques les plus raffinées. Il était d’une prodigieuse activité littéraire, ayant composé sur une foule de sujets divers de nombreux traités de théologie, de philosophie, de controverse, et entretenu avec beaucoup d’hommes éminens de son entourage une correspondance des plus intéressantes ; elle nous a été en partie conservée, et il s’y révèle une variété et une étendue de connaissances très extraordinaires pour l’époque. Son style était d’une pureté extrême, véritablement archaïque. Ses descriptions des paysages d’Asie Mineure, tant parcourus par lui dans ses longues chevauchées de guerre, sont de petits chefs-d’œuvre d’évocation. Surtout, sa profonde érudition ecclésiastique, sa science des humanités, étonnaient le monde. Sa piété, sa dévotion étaient extraordinairement vives.

Aux charmes si attachans de l’esprit et de l’intelligence, Manuel joignait ceux de l’extérieur. « La nature, dit l’historien moderne qui l’a le mieux étudié, M. Berger de Xivrey, l’avait favorisé pour les avantages physiques. Les historiens nous