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ressusciter par la pensée une de ces entrevues de l’aimable et infortuné roi de France avec son hôte si sympathique : les deux illustres interlocuteurs assis familièrement en quelque embrasure d’une fenêtre du vieux Palais du Louvre, donnant sur la rivière, devisant à l’aide de leurs truchemans sur le moyen le plus efficace de mettre une barrière aux effroyables progrès de la puissance ottomane, de sauver l’Europe et la chrétienté des griffes de l’impitoyable Bajazet !

L’empereur Manuel et sa suite se faisaient dire la messe dans leur chapelle particulière d’après la liturgie et la mode d’Orient. Ce fut, durant cette fin de l’année 1400, la grande vogue pour le public élégant parisien, peu familiarisé avec cette sorte de spectacles, d’aller assister à ce service religieux si différent du culte catholique romain par la splendeur de ses pompes, le luxe des vêtemens ecclésiastiques, la foule des icônes, l’étrangeté des chants pieux. Nobles et bourgeois raffolaient de ces cérémonies si complètement nouvelles « Faisoyent, dit Jean Juvénal des Ursins, le service de Dieu suivant leurs manières et cérémonies, qui sont bien estranges, et les alloit voir qui vouloit. »

Cependant le pauvre roi Charles était retombé dans un de ses pitoyables accès de démence et la joyeuse Cour de France en était à nouveau plongée dans la tristesse. Il semble que l’empereur Manuel ait saisi cette occasion pour aller rendre visite à un autre des souverains dont il désirait implorer l’appui, le lointain roi d’Angleterre, ce roi dont bien probablement l’immense majorité des sujets du basileus n’avaient jamais entendu prononcer le nom. Ce qui le ferait croire, c’est que Manuel, au lieu d’attendre la saison favorable, passa la Manche à une des pires époques de l’année, vers le commencement de décembre. On peut encore remarquer, dit fort bien M. Berger de Xivrey, que l’empereur grec était seulement depuis quelques mois à Paris où il resta encore deux ans entiers après son retour d’Angleterre, et il ne séjourna du reste guère plus d’un mois en Angleterre. Comme nous allons le voir, il a raconté lui-même que sa traversée fut très mauvaise, troublée par une violente tempête ; Charles VI était retombé malade déjà avant le mois de septembre. Le 2 de ce mois, il s’était bien remis, avait repris toute sa raison et avait été en remercier Dieu à Notre-Dame, mais, hélas ! dès la semaine suivante, il retombait « en