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réception d’un héros, le conduisit à Londres en procession solennelle et, pendant plusieurs jours, lui donna dans cette ville une hospitalité aussi honorable que somptueuse, le comblant de présens dignes de son rang. Voici à peu près tout ce que nous saurions sur ce voyage étrange du successeur de Constantin dans la capitale anglaise si, par une véritable autre bonne fortune, nous ne possédions le texte même d’une lettre de l’empereur toujours à son même familier, Manuel Chrysoloras, écrite certainement durant son séjour dans la capitale anglaise. Ce document si intéressant fait partie de ce précieux manuscrit des œuvres littéraires de l’empereur conservé à la Bibliothèque nationale, dont j’ai parlé déjà.

Ecoutons l’impérial narrateur en son style verbeux d’une élégance si affectée. « Le prince auprès duquel nous résidons maintenant, le roi de la Grande Bretagne, cette contrée qu’on pourrait appeler un autre monde, prince inondé de biens, orné de mille qualités, admiré de ceux mêmes qui ne le connaissent pas, et faisant dire à qui l’a vu une seule fois que la renommée, perdant son pouvoir de déesse, est impuissante à célébrer un tel mérite ; ce prince, illustre par la dignité, illustre par l’esprit, qui frappe par sa force, gagne des amis par sa prudence, et présente à tout le monde une main secourable, s’offrant comme le protecteur universel de quiconque a besoin de protection, a suivi son instinct naturel en devenant pour nous un port après une double tempête, l’une de la nature, l’autre de la fortune. Sa conversation est pleine de charme ; il nous réjouit de toutes les manières, nous honore et nous aime également. Seul il pense que tout ce qu’il faut pour nous n’est pas encore assez, et il semble presque en rougir, tant il est magnanime. » La lettre se termine par ces lignes : « Il nous accorde un secours en hommes d’armes, en archers, en argent et en vaisseaux qui transporteront l’armée où besoin sera ! »

Hélas ! toutes ces promesses qui rendaient le pauvre empereur si heureux n’étaient que vaines paroles, et Manuel qui, au premier moment, nous le voyons par sa lettre, semble avoir été plus ébloui de la fastueuse réception anglaise que de celle même de Paris, ne récolta à Londres que des espérances qui ne se réalisèrent jamais. Lui qui semble ne trouver aucune parole capable d’exprimer l’admiration que lui cause ce roi d’Angleterre si séduisant, n’obtint finalement de ce prince ni un bâtiment, ni une compagnie d’hommes d’armes, ni un subside quelconque !