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elle peut bien être regardée comme la plus inattendue qui ait jamais frappé l’oreille d’un homme presque abandonné par l’espérance ! Durant que Manuel s’attardait à disputer sur le Filioque à Paris, le foudre de guerre ottoman, le terrible Bajazet Ildjérim, c’est-à-dire l’Eclair, qui tenait depuis tant d’années sous sa botte l’empire presque détruit des Paléologues, le plus redoutable des sultans turks et des conquérans orientaux, avait été brusquement anéanti par l’apparition presque subite d’un conquérant bien plus effroyable encore, Timour ou Tamerlan, le grand khan des Mongols. Ce fléau de Dieu, peut-être le plus grand destructeur d’hommes de l’histoire, sorti, avec les hordes infinies de ses sauvages cavaliers, des profondeurs de l’Asie centrale, après avoir marqué sa route rapide à travers ce continent par un épouvantable sillon de meurtres et de ruines, avait, après avoir provoqué le sultan, gagné sur lui, le 27 juillet 1402, une fameuse et décisive bataille dans les plaines d’Ancyre, près de ces mêmes lieux historiques où Pompée, jadis, avait vaincu Mithridate. A peu près toute l’armée turque avait péri. L’invincible Bajazet était tombé aux mains de son impitoyable ennemi qui l’avait, dit la légende, fait enfermer dans une cage de fer.

Tamerlan adressa deux lettres au roi Charles VI. Ces documens fort extraordinaires sont, ce que la plupart ignorent, aujourd’hui encore conservés aux Archives nationales. M. de Sacy les a très exactement commentés dans un savant article des Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Mais ce ne furent point ces lettres illustres qui apportèrent à Paris la première nouvelle du grand événement ainsi annoncé au roi de la part du khan. Car, lorsqu’elles arrivèrent, l’empereur Manuel, dont on devine l’émotion intense à l’ouïe d’une circonstance aussi fabuleuse, aussi heureuse pour sa cause, avait déjà précipitamment quitté la France. Il avait, en effet, reçu à Paris par une voie plus directe cet avis si important pour lui. Il l’avait aussitôt fait connaître au roi et à ses conseillers, tout en décidant son propre retour immédiat à Constantinople.

« Beaucoup d’erreurs, dit fort bien M. Berger de Xivrey, ont été commises sur le lieu et l’époque où Manuel apprit l’incroyable nouvelle de la défaite si complète de son terrible ennemi. On se les serait épargnées en consultant la Chronique du Religieux de Saint-Denys, témoin oculaire très véridique et