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France, fut invité, par l’entremise du gouvernement grand-ducal, « à quitter aussitôt que possible le Luxembourg et à se rendre en France ; autrement, — ajoutait la lettre de M. von Buch à M. Eyschen, — les autorités militaires allemandes se trouveraient dans la pénible obligation de placer M. Mollard sous la surveillance d’une escorte militaire et, en cas extrême, de procéder à son arrestation[1]. »

Je ne me faisais aucune illusion. Ce même jour, 4 août, l’Allemagne ayant déclaré la guerre à la Belgique et les premières troupes allemandes ayant pénétré en territoire belge et brûlé Visé[2], je m’attendais à être l’objet du même traitement que mon collègue de France. Cependant, quelques jours passèrent sans que je fusse inquiété. On semblait m’ignorer ou m’oublier. De mon côté, pour ne donner prétexte à aucune plainte, je me constituai prisonnier volontaire chez moi. Je ne sortis plus de la légation après m’être acquitté du message dont me chargeait le dernier télégramme que je reçus de mon gouvernement, le 5 août, à deux heures de l’après-midi, télégramme qui me prescrivait de faire savoir au gouvernement grand-ducal que l’Allemagne avait violé la neutralité belge et que la Belgique résisterait par la force à cette agression. Le même soir, M. Eyschen vint me dire que le général von Fuchs, à qui il avait parlé de la situation du ministre de Belgique, avait répondu qu’il n’avait pas d’instructions en ce qui me concernait, et que lui-même serait remplacé le lendemain par un général de rang supérieur qui aurait peut-être reçu des ordres de Berlin. Toutefois, ni le lendemain, ni le surlendemain, aucune communication ne me fut faite. Je ne quittais pas ma demeure, mais continuais à recevoir les nombreux compatriotes qui recouraient aux bons offices de la légation.

Le samedi, 8 août, à trois heures de l’après-midi, M. Eyschen vint en personne me remettre la lettre par laquelle il me faisait connaître que l’autorité militaire allemande demandait mon départ. Le ministre d’Etat se disait navré d’avoir à me

  1. Livre Jaune français, n° 139.
  2. Au moment de l’expulsion de M. Mollard, ces faits n’étaient pas encore connus à Luxembourg. M. von Buch, ministre d’Allemagne, proposa même de confier la protection des intérêts français au ministre de Belgique (Livre Jaune, n° 139). Lorsque M. Eyschen me fit part de cette intention, je ne pus m’empêcher de lui dire : « Ce n’aurait pas été pour longtemps, s’il est vrai que l’Allemagne songe à violer aussi la neutralité de la Belgique. »